• 4- L'ellipse.

    Le rythme est le propre de la vie et du temps qui s'accélère ou se ralentit, le rythme rend vivant, crédible, le récit. L'ellipse va donc être un moyen pour rythmer la narration tout comme la ponctuation. Elle donne une information brute, rapide, concise et précise au lecteur.

    « Des amis ? Elle peut les garder. N'en ai rien à foutre. Y crois moins que jamais. Me distrait dans le mauvais sens du terme. » [1]

    Le sujet est éliminé, c'est un mot qui n'a pas besoin d'être écrit et qui ne change pas la compréhension du texte. Cela formalise un langage populaire et rapide : à l'oral cela permet d'économiser des syllabes.

    « Me doivent tout. Le savent. Me respectent et m'aiment comme je le mérite. » [2]

    « Connaissez pas ce vieux faubourg ? Jamais allé. Agréable ? Agréable non, pittoresque plutôt » [3]

    Les négations aussi sont ‘anéanties' au profit de l'intonation. L'économie de mots permet au texte d'être fidèle à un discours oral familier. L'ellipse, procédé classique, ne satisfait pas totalement l'auteur, son jeu sur les mots ou les phrases va encore un peu plus loin.

    5- Les mots ou phrases tronqués.

    À l'ellipse s'ajoutent aussi les phrases ou mots inachevés comme si le narrateur considérait qu'il n'est nul besoin de continuer la phrase ou le mot. Cela s'inscrit aussi dans une technique rythmique mais montre surtout un désir de rendre un effet de réel à l'introspection du narrateur.

    « Je lui demande s'il croit vraiment que. » [4]

    « Tu pousses le bouton du téléviseur, vibrations, nouvelles, aujourd'hui ont eu lieu les obsèques de, rencontre de et de, bombardement, déraillement, collision, crime, fusée en orbite, signature de l'accord entre et entre, match de au stade du en vue des, négociations pour. » [5]

    « - Je t'... , fait Léo.

    Ils s'embrassent sans doute.

    Mon am..., répond Josèphe. » [6]

    En n'achevant pas ses mots ou ses phrases l'auteur laisse aussi au lecteur la liberté de choisir ses propres mots : « Mon am... » ‘i', ‘ant', ‘our' ? ou encore « Je t'... » ‘aime', ‘adore', ‘embrasse' ?

    6- L'éclatement des mots.

    De même que les mots ou les phrases sont parfois inachevés, Dominique Rolin va découper les mots en syllabes ou en lettres en vue d'accentuer l'importance du mot ou du sentiment qu'il décrit.

    « ma petite fille dont jamais-jamais je ne me suis occupée ma-ter-nel-le-ment. » [7]

    « Dès qu'il a raccroché, j'entends rebondir sur le toit une grêle de lettres à gamme sèche : s, a, u, f, t, o, i, répugnants envoyés spéciaux de l'autre. » [8]

    Dans l'exemple ci-dessus nous voyons bien, là aussi, le désir de recherche sur le rythme et sur la musicalité (l'expression ‘gamme sèche est uniquement consacrée à la musique) des mots, des sons qu'ils produisent. Cela sert la volonté de rigueur d'expression de la narratrice.

    « Car le problème est crucial : ne-pas-se-fa-ti-guer, éviter de perdre du temps. » [9]

    « Tiède. Ti-è-de. Tiii-èèè-de » [10]

    La ‘découpe' des syllabes ou des sonorités permet leur amplification et donne une indication sonore précise à l'écrit. Le but étant, peut-être, de donner au lecteur le moyen d'entendre ce qu'il lit et de lui permettre d'associer plus facilement le texte aux images et aux sons, grâce à un effet de réel.

    7- L'agencement typographique.

    L'éclatement de la phrase est pour l'auteur un outil prépondérant. Il lui permet de rendre fidèlement la confusion des pensées, d'expliciter l'imprévisibilité et la complexité de l'esprit humain. Et pour que l'écriture transmette fidèlement les fonctions cérébrales, elle doit, pour l'auteur, s'adapter à celles-ci, même si ce n'est pas toujours de façon très logique et très structurée. Ainsi, il arrive que l'agencement typographique du texte rolinien ne corresponde en rien aux canons d'écriture exigés par la syntaxe classique. Nous allons alors assister à des enchaînements de mots ou de paragraphes qui peuvent paraître sans logique : sans logique grammaticale, mais avec leur propre logique qui est celle de l'esprit de la narratrice, un peu comme si les brouillons de l'auteur n'étaient pas raturés ou gommés mais livrés à la lecture en l'état.

    « C'est alors que, pour accorder mon état au sien, je n'avais rien trouvé d'autre que de soulever sa longue robe de soie noire,

    sa longue robe de soie noire afin de,

    sa robe noire soyeuse afin,

    sa robe noire soyeuse pour embrasser furtivement ses genoux, mais chaque avancée des jambes sous les étoffes déplacées produit un bruissement sec, car il s'agit d'un taffetas de riche qualité, et si j'ai rêvé d'elle, il y a une raison... » [11]

    « ‘Voi-là !...' ferais-je en laissant traîner le mot pour lui donner plus de poids. De ces deux syllabes claquantes sortait un oiseau, soyeux fendeur d'espace.

    ‘Voi-là...' J'ai fini par tomber dans le corps ouvert du mot.

    Je dormais.

    J'avais perdu la partie.

    Dieu, une fois de plus, demeurait mon maître. » [12]

    Dominique Rolin semble à la recherche d'une expressivité totale du récit. Comme si elle voulait ajouter des sons et des rythmes aux descriptions visuelles. On peut se dire que finalement la composition de certains passages du récit rolinien est comparable à celle d'une partition avec ses notes, ses signes, ses crescendo et pianissimo qui dessinent des courbes permettant au musicien d'entendre et de voir des images tout en lisant ses feuillets. Dans l'exemple suivant nous formaliserons les crescendo par une mise en ‘gras' du texte et les pianissimo en le soulignant.

    « Les erreurs ou les hésitations ne se formulent pas de mon côté mais du sien.

    Quand elle dit ‘va', je vais.

    Quand elle dit ‘arrête', j'arrête.

    J'attends ses ordres.

    Souffre-t-elle par ma faute ?

    Oui. Ce n'est que justice. À moi la jouissance.

    À elle chaque doute, la douleur et la honte.

    Trois coups ont ébranlé ma porte. Serait-ce une nouvelle attaque de Mémoire ? Non. Épis, Coran, Le Roux m'avertissent avec simplicité qu'un sur-enfer de trois jours se prépare. » [13]

    La succession de phrases longues, puis courtes, longues, puis courtes, fait, elle aussi, penser aux notes sur une portée qui montent et descendent. Si l'on traçait une courbe reliant chaque fin de phrase de ce passage nous verrions des notes très aiguës et des plus graves (notons que dans le cas présent la note la plus grave serait le mot ‘ordre', ce qui correspond bien à l'image sonore que l'on pourrait se faire d'un ordre). Ce désir de musicalité est encore plus apparent lorsque l'auteur choisit un autre outil pour composer son récit : la répétition.

    8- La sonorité.

    Comme nous l'avons montré un peu plus haut le désir de musicalité est très présent chez l'auteur. Cette musicalité s'exprime essentiellement par le rythme (qui en est la base) mais aussi par une étude des sonorités. L'auteur, voulant rendre compte le plus fidèlement possible de l'esprit du narrateur, cherche aussi l'effet esthétique pur. C'est pour cette raison que l'écriture rolinienne peut être comparée à un véritable jeu d'orgues. Non seulement cette dernière doit coller à la retranscription de l'activité neurologique mais elle doit aussi être l'expression d'une beauté esthétique. Ainsi dans les Éclairs nous avons :

    « Coups sourds, ébranlements sous l'eau, creusements, brassements, martèlements, basculements, prolongements, saisissements, traumatismes, alors qu'en surface le ‘bâtiment' apparaît. » [14]

    Nous retrouvons aussi des exemples d'allitérations dans Maintenant :

    « Mourir. Renaître. Fendre le double flux : mots-chevelure. M'étendre à sa surface et me retourner. Respirer. De nouveau mourir et de nouveau renaître après avoir tabli le dialogue : toujours allongé dans l'encadrement de ma fenêtre sur mon lit d'hôpital, elle me surveillait à présent avec une ardeur concente qui rappelait son activité d'autrefois quand elle montait un spectacle théâtral... » [15]

    Dans ce passage, ci-dessous, du Jardin d'agrément, le travail de la sonorité s'effectue sur l'allitération en [r] et en [sε] :

    « Servir à quoi ? servir pourquoi ? Au nom de quelle machination délétère, annulante, dont le processus impudique était sans doute lié à quelque office des ténèbres ? » [16]

    Il arrive même que la narratrice fasse part au lecteur de sa propre étude concernant la sonorité des mots et, encore une fois, c'est par l'allitération que va se réaliser cette étude :

    « Cependant à peine avais-je été possédée par b que déjà je voulais m'en arracher pour occuper à présent s, s secoué de spasmes et de contractions subversives qui se roulait en sifflant sur le sol. » [17]

    9- La répétition.

    Dominique Rolin, dans sa recherche de rythme et de musicalité, va créer un nouvel effet sonore en répétant un mot ou un groupe nominal à de courts intervalles. Parfois cela prend la forme rhétorique de l'anaphore et permet le renforcement ou la symétrie. Mais ce n'est pas qu'un procédé esthétique pour l'auteur, c'est aussi un moyen de mettre en valeur une certaine forme d'obsession pour un mot ou un groupe nominal par exemple.

    « Fatiguée, fait-elle encore

    Fatiguée ?

    Fatiguée-fatiguée

    Moi je dis que nous devons nous reposer là-haut pour bon.

    Moi je dis que j'ai trop à faire.

    Moi je dis qu'il faut m'obéir.

    Moi je dis que je n'ai rien foutu encore.

    Moi je dis que tu travailleras dix fois mieux après.

    Moi... je... dis... Elle interrompt son murmure. » [18]

    Dans ce passage de Deux la répétition permet au lecteur d'imaginer l'égocentrisme dont fait preuve le personnage décrit par la narratrice. Le message est délivré clairement : l'héroïne est fatiguée et il n'y a que cela qui compte, elle est le centre de tout et tout autour disparaît. Cela met en évidence le combat intérieur que se livrent les deux personnalités qui composent le personnage.

    « Et j'y découvrais au même niveau comment aussi la peur était venue par le chemin de la raison. Ma raison n'avait existé qu'après avoir fait le tour entier de mon corps. La raison était le squelette inusable d'un corps usé. La raison était immortelle. Mais la raison était la mort. » [19]

    La raison est ici l'obsession de la narratrice, sa préoccupation pour ce thème la force à répéter le mot à chaque phrase. Nous pouvons voir aussi que la répétition de ‘la raison' ajoute à l'anthropomorphisation de celle-ci. Elle devient LE sujet au même titre qu'un personnage.

    « Mise en condition sans le savoir, je vois tout cela, je vois, je vois et je frissonne en fixant les yeux égarés de la diseuse qui feint de ne rien voir, elle. ‘Voici venir l'orage - Voilà l'éclair qui luit.' Le jeune homme écrase contre lui le corps délicat de la fille qui résiste avec mollesse (je vois, je vois, Esther à peur), le garçon écrase les jambes de la fille entre les siennes avant de lui saisir le visage. » [20]

    Le passage ci-dessus montre bien qu'il s'agit autant d'un désir esthétique que d'une volonté de rendre l'obsession, l'obsession du regard dans cet exemple. Mais ici l'auteur aide le lecteur : il change le style de caractère du mot ‘vois' ou ‘voir' qui n'est plus en italique contrairement à tout le texte. Le lecteur ‘voit' alors que c'est vraiment le regard qui obsède la narratrice dans ce passage.

    « Demain, je le ferai abattre, je vendrai le bois pour le convertir en bon or. j'enfermerai l'or dans un sac [...] Je rentrais chez moi, je m'enfermais dans ma cave pour y caresser mon or, je me mettais à pleurer sur mon or, je lui parlais comme à un être humain. » [21]

    Ces quelques lignes de L'Ombre suit le corps (ci-dessus) illustrent, comme les exemples précédemment cités, cette obsession rendue par la répétition du même mot. Par ailleurs, ce passage ironique n'est pas sans rappeler le monologue d'Harpagon dans L'Avare , scène 7 Acte IV où le mot ‘argent' est employé à six reprises.

    10- L'étymologie.

    Le jeu littéraire de Dominique Rolin est le fruit du travail et de la précision. L'auteur aime tant les mots et cherche tant à les employer dans leur acception la plus juste qu'il lui arrive parfois, lorsque le corpus de la langue lui semble insuffisant, de créer ceux qui lui conviennent comme nous l'avons vu plus haut. Mieux encore, lorsque dans la langue française un mot, apparemment platement courant, interpelle l'auteur, ou lorsqu'il veut le faire intimement connaître au lecteur dans tout son sens, il n'hésite pas à en donner l'étymologie dans le texte même. Ainsi dans Les Éclairs, l'étymologie du mot éclair sert de base à l'architecture du récit, chaque chapitre est introduit par une des définitions du terme.

    Parfois la narration va même être coupée par le narrateur, de façon brutale, à un moment où ce dernier semble tenir à préciser, à définir le terme qu'il emploie.

    « Pour nous mettre en train, veux-tu que nous commentions cette histoire de café, boisson familière, magique qui mériterait qu'on lui consacre un livre :

    1° Graine de caféier. Café Bourbon, café Moka. Café en coque ou en cerise. Café mondé. Café en poudre. Marc de café.

    2° Breuvage fait par infusion d'eau bouillante, avec le café brûlé et moulu. L'usage de l'infusion du café ne paraît pas remonter au-delà du XVe siècle ; il fut introduit en Europe au commencement du XVIIe, à Marseille en 1654.

    Étym. Arabe, kahouet ; esp. Café ; ital. Caffè ; angl. Coffee. » [22]

    Nous trouvons un autre exemple de ce type dans Deux femmes, un soir :

    « Il m'a réclamé de toute urgence trois feuillets sur le mot adventice dont le Littré dit : ‘1) Terme didactique. Qui survient du dehors. Idées adventices, par opposition à idées innées. 2) En termes de médecine, maladie adventice, maladie qui ne tient pas à la constitution. »... [23]

    Dans Deux, l'ouvrage commence par la définition du terme traquer comme nous l'avons cité un peu plus haut. Il arrive même que la narratrice justifie l'emploi de tel terme qu'elle a élu comme si, au delà du mot choisi pour sa signification, elle voulait nous faire partager ses propres critères de choix :

    « Déployer est le terme exact. Je n'avais pas encore conscience de sa dramaturgie d'attaque ou de repli. » [24]

    D'une expression romanesque traditionnelle, à cet équilibre synthétique qui nous semble caractériser le style rolinien, nous avons vu, dans cette première partie, comment Dominique Rolin explorait les multiples ressources de l'écriture, des phrases, des mots et de leur musique pour construire, ouvrage après ouvrage, une œuvre dynamique et cohérente. Dominique Rolin « fouille » tous les recoins, cherche toutes les possibilités que l'écriture romanesque peut lui apporter, invente de nouvelles formes de rédaction pour témoigner, comme nous l'avons souligné, de la complexité des mécanismes de la pensée des êtres et de leur communication.

    Avant de clore cette partie consacrée à la dynamique de l'œuvre, une remarque s'impose. Nous avons délibérément choisi d'inclure dans notre phase ‘Équilibre synthétique' les quatre dernières œuvres de Dominique Rolin : L'Accoudoir, La Rénovation, Journal Amoureux [25] et Le Futur immédiat [26]. Or, ces quatre ouvrages nous ont semblé contenir les prémices d'une nouvelle évolution perceptible, mais difficile à caractériser en l‘espace du contenu de quatre seules œuvres. La publication de Futur immédiat, semble pourtant nous permettre de confirmer la gestation d'une quatrième phase dans l'écriture de cet auteur. Une phase qui serait tournée vers un désir d'efficacité et de rapidité. Les ouvrages sont beaucoup plus courts, respectivement 141, 127 et 123 et 115 pages, et les idées directement et clairement énoncées. Les détours y sont beaucoup plus rares. Certes, Dominique Rolin n'est plus dans ce que l'on nomme ‘la force de l'âge' et d'aucuns pourraient interpréter le raccourcissement des ouvrages par une fatigue croissante. Pourtant, l'auteur ne faillit pas à son rituel d'écriture matinale et quotidienne, le travail est plus que jamais pour lui une nécessité vitale.

    « L'écrivain qui cesse de travailler est foutu » [27]

    Dominique Rolin ne cesse d'écrire, on ne peut donc pas assimiler le raccourcissement de ses œuvres à la fatigue :

    « Je n'ai qu'une seule envie : retourner dans ma tanière et commencer un nouveau livre. La concentration que demande l'entame d'un livre est inouïe [...] j'ai écrit plusieurs commencements, que j'ai tous mis au panier ; mais maintenant, je sens que je vais pouvoir m'y mettre si je ne suis plus distraite et si je rentre en moi-même. De toute façon, j'écris tout le temps » [28]

    Si, comme nous l'avons vu pour les phases précédentes, il est impossible de déterminer des frontières nettes, de type avant / après, il nous semble cependant maintenant clair que ces quatre dernières œuvres commencent à dessiner une nouvelle phase du style rolinien. La densité, la concision et le désir d'efficacité du texte nous apparaissent, à première vue, comme les caractéristiques marquantes de cette nouvelle ère. Mais nous pensons qu'il est préférable d'attendre les publications suivantes de l'auteur pour envisager de caractériser formellement une nouvelle phase et déterminer s'il s'agit là d'un enrichissement de l'œuvre ou si c'est l'annonce d'une nouvelle orientation scripturale...

    En réalisant l'étude diachronique (esthétique) de l'œuvre rolinienne, nous avons souligné l'étonnante implication psychologique de la narratrice dans presque tous ses romans. Cette implication est telle qu'elle oblige le critique à se poser la question du genre littéraire auquel appartiennent les ouvrages roliniens. Certes l'essentiel de l'œuvre est consacré au roman mais quel type de roman : policier, d'aventures, psychologique ? Nous parlons de ‘romans', mais en sont-ils vraiment ? Ne s'agirait-il pas plutôt d'autobiographies ? Ou plutôt d'un genre mariant à la fois autobiographie et roman tel que l'autofiction ? La narratrice rolinienne est-elle l'auteur ? Certes, s'il s'agissait d'une analyse strictement poétique, la question ne se poserait pas. Pourtant, l'auteur décidant lui-même de jouer sur la dualité narrateur / auteur, nous allons montrer dans la prochaine partie de notre étude, en quoi ce jeu est une caractéristique remarquable de l'œuvre rolinienne.

    De même, une préoccupation constante chez l'auteur, pour ce qui concerne les corps humains, nous pousse à nous poser la question d'une écriture qui serait pour une très large part consacrée à la physiologie des hommes. Donc pas seulement une écriture servant la psychologie, mais aussi, et peut-être surtout, une écriture du corps. Nous l'appellerons l'écriture ‘organique'.

    Ce sont ces deux caractéristiques essentielles de l'écriture rolinienne : la question de l'autobiographie ou de la fiction pure et l'aspect ‘organique' de l'écriture, que nous allons développer dans notre seconde partie.

    -- page break --

    Seconde partie

    Autofiction / écriture organique

    -- page break --

     

    Deux aspects fondamentaux constituent la base de l'écriture de Dominique Rolin. L'un se situe sur le plan narratologique et l'autre sur le plan esthétique. Nous commencerons par déterminer le statut des narrations roliniennes, puis, remarquant qu'il y a de fortes ressemblances entre fiction et réalité, nous poserons la question : les romans de Dominique Rolin sont-ils de ‘vrais' romans ou de ‘vraies' autobiographies ? Il réside là une ambiguïté à laquelle la notion d'autofiction nous apportera peut-être une réponse. Ensuite, sur le plan esthétique, nous nous attarderons sur ce que nous appelons ‘l'écriture organique' chez Dominique Rolin. Une écriture qui semble ‘dédiée' à la physiologie humaine et aux corps en général. Les descriptions d'organes, de visages, de textures, la place donnée au corps, dans le sens chair, laissent à penser que l'écriture est alors une sorte de moyen d'expression du corps physique, qui s'exprimerait indépendamment de l'esprit.



    [1] Le Gâteau des morts, p. 123

    [2] L'Infini chez soi, p. 15

    [3] Deux, p. 211

    [4] Le Corps, p. 287

    [5] Lettre au vieil homme, p. 76

    [6] Le For intérieur, p. 90

    [7] Deux, p. 83

    [8] Deux, p. 120

    [9] Deux femmes un soir, p. 187

    [10] Lettre au vieil homme, p. 64

    [11] La Maison, la forêt, p. 24

    [12] Deux femmes, un soir, p. 41

    [13] La Rénovation, p. 91

    [14] Les Éclairs, p. 253

    [15] Maintenant, p. 153

    [16] Le Jardin d'agrément, p. 108

    [17] Le Corps, p. 112

    [18] Deux, p. 27

    [19] Le Corps, p. 177

    [20] Le Jardin d'agrément, p. 81

    [21] L'Ombre suit le corps, p. 227

    [22] Lettre au vieil homme, p. 206

    [23] Deux femmes, un soir, p. 15

    [24] Le Jardin d'agrément, p. 200

    [25] Journal amoureux.- Paris : Gallimard, 2000 ;- 120 p.

    [26] Le Futur immédiat.‑ Paris : Gallimard, 2002.‑ 115 p.

    [27] V. Le Futur immédiat, p. 11

    [28] Plaisirs, entretiens avec Patricia Boyer de Latour.‑ Paris : Gallimard, 2002.‑ coll. L'Infini.‑ 219 p.‑ p. 208



    votre commentaire
  • II. 1 L'autofiction.

    L'ambiguïté du récit, au sens ‘récit romanesque', est une caractéristique de l'écriture rolinienne que nous ne pouvons pas ignorer. En effet, il est bien souvent difficile de déterminer ce qui appartient à la fiction pure et ce qui pourrait relever de la stricte autobiographie. L'autofiction sera pour nous le moyen de lever cette ambiguïté.

     

    Le roman traditionnel, susceptible d'être ‘une œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures', se réalise sous tant de formes qu'il est difficile de le définir de manière aussi radicale. Cela posé, malgré tous les aspects qu'il peut prendre, le roman doit toujours être une fiction. Cependant, à la lecture des ouvrages de Dominique Rolin, nous pouvons être désorientés. Sommes-nous véritablement en présence de romans, comme cela est indiqué sous les titres des ouvrages en couverture ? Souvent la fiction semble disparaître car enfin, lorsque nous lisons :

     

    « ... Jean Rolin, mon jeune et beau papa, introduisant sa tête sous l'arceau volanté de plumetis pour se rapprocher du bébé... » [1]

    ou encore

     

    « ... il veut m'aider à terminer ce livre. » [2]

    « Voyons Dominique, pourquoi t'obstines-tu à t'imaginer ailleurs... » [3]

    « Vu sous cet angle, L'accoudoir sera-t-il un vrai roman ? » [4]

    nous sommes en droit de nous demander si nous parcourons un roman, une autobiographie ou un journal intime. Il y a une réelle ambiguïté. Jean Rolin est, comme dans le roman, le père de Dominique dans la réalité. L'intervention ‘Voyons Dominique' est celle de l'auteur qui supplante le narrateur. L'auteur est-il donc le narrateur ? Et dans l'exemple de l'Accoudoir, le narrateur-auteur pose lui-même la question du statut romanesque du livre qu'il est en train d'écrire.

     

    Nous verrons dans un premier temps comment la relation entre l'auteur et ses narrateurs permet de remettre en cause le statut de fiction des romans roliniens. Puis, dans un deuxième temps, nous nous poserons la question : s'agit-il d'autobiographie ou de roman ? Et enfin, nous montrerons jusqu'où se prolonge, s'insinue, cette ambiguïté et comment elle est un moyen pour Dominique Rolin de s'affranchir des contraintes narratives.

    -- page break --

    II. 1. 1. L'identification narrateur / auteur.

     

     

    Dans la première phase d'écriture de Dominique Rolin, les règles de la fiction romanesque semblent respectées. Nous nous attarderons tout de même sur cette période afin de mettre en évidence, dans les ouvrages suivants, cette difficulté à saisir, à partir du Lit en 1960, la séparation entre auteur et narrateur, séparation qui conditionne le statut fictionnel d'un récit. Rappelons-nous les définitions, en littérature, des termes ‘narrateur' et ‘auteur' afin de bien montrer la démarcation entre ces deux ‘êtres' qu'on ne peut confondre lors de l'étude d'un texte. L'auteur c'est ‘l'écrivain, celui qui produit le texte'. Il a un nom et un état civil, c'est un personnage réel qui peut parfois prendre un pseudonyme pour signer ses romans, c'est celui qui réalise l'écriture. Le narrateur c'est celui ‘qui fait un récit, qui raconte'. Dans un ouvrage écrit, le narrateur appartient au texte. Hors de ce dernier c'est un personnage qui n'a pas d'existence, tandis que l'auteur existe indépendamment de ses textes.

     

    Dans les ouvrages de la première phase d'écriture, que nous avons intitulée la tradition romanesque, il n'y a pas vraiment d'ambiguïté entre auteur et narrateur mais souvent une implication perceptible de l'auteur dans sa narration. Dans Les Marais, nous constatons que, déjà, la réalité de l'auteur fait son entrée dans la fiction du récit relatant la mort de la petite Barbe. La narration de cette mort est motivée par le décès, bien réel, de Marie-Jeanne, fille d'Antoinette, la servante des Rolin, victime de la coqueluche à l'âge de deux ans et demi. Certes la mort de Barbe (personnage de fiction) n'est pas celle de Marie-Jeanne (personnage ayant existé dans la réalité et l'entourage de l'auteur) Mais cette mort (celle de Marie-Jeanne), la première vécue par l'auteur, a été, selon ses propres paroles, « le premier vrai drame de ma vie » [5]. Dans l'ouvrage suivant, Anne la bien-aimée, la mort du jeune enfant est encore relatée. Bertram, le fils d'Anne Matthias, lui aussi atteint par la maladie, fait à nouveau référence à la mort de Marie-Jeanne. Le prénom change dans les romans, Bertram n'est pas Marie-Jeanne, mais cela n'empêche que la mort de l'enfant, l'expérience vécue, quel que soit le prénom donné dans un roman, a bien été vécue par l'auteur. On la retrouve aussi dans Le Souffle avec la mort du jeune Baptiste. Ce fait « réel » vécu par l'auteur se retrouve ainsi interprété en fiction dans le récit du narrateur.[6]

     

    Dans ces premiers romans il n'y a donc pas de confusion possible entre auteur et narrateur. Cependant, pour le lecteur qui connaît en partie la vie de Dominique Rolin, des ressemblances étranges avec la réalité vécue par l'auteur se manifestent, ici et là, au fil du récit fictif. Ces ressemblances dévoilent déjà chez l'auteur une volonté certaine d'implication dans le récit. On note ainsi la présence de décors qui lui sont chers, tels les marais de Genk, décrits dans son premier roman et qui seront le théâtre de l'action dans Moi qui ne suis qu'amour [7]. Aussi la forêt de Soignes, qui, après avoir bercé son enfance, va faire l'objet de nombreuses descriptions et plus particulièrement dans Le Gardien.

     

    Auteur et narrateur ne sont pas confondus dans cette première phase. Seule une certaine connaissance de la vie de l'auteur peut alors permettre au lecteur averti de déceler ces incursions de la réalité dans la narration romanesque. Donc, puisqu'il n'y a pas de confusion évidente, nous pourrions dire que ces romans sont de vrais romans et que la question ‘réalité ou fiction' ne semble pas avoir lieu d'être, faute de pertinence.

     

    Chaque ouvrage de Dominique Rolin, depuis Les Marais, met en scène des personnages au sein d'une famille. Cependant, la composition de cette famille n'est jamais identique d'un roman à l'autre. Il n'y a aucun indice permettant au lecteur de deviner un quelconque rapport entre auteur et narrateur. Sur les neuf œuvres de cette première phase, six ont un narrateur omniscient et trois seulement ont une focalisation interne. De surcroît, dans Le Gardien, le narrateur est un homme. La question de son identité ne se pose donc pas. Dominique Rolin, à l'occasion d'une interview pour la réédition du Gardien dans la collection Le Cercle du bibliophile, dit en 1966 :

     

    « Le souvenir des maisons de mon enfance est resté obsédant. Chaque fois que j'écris un livre, je les reconstruis chacune par fragments isolés ou entièrement, réelle ou transposée. »

     

    Ces deux phrases montrent bien que les romans de l'auteur sont alors des fictions dans lesquelles nous retrouvons des fragments de réalité. Il n'y a donc, dans cette première phase d'écriture, rien qui nous permette de remettre en cause le statut fictionnel de ces ouvrages.

     

    Dans Le Lit, ces fragments sont de plus en plus nombreux et l'investissement de l'auteur, en tant que personnage dans la narration, va se faire de plus en plus présent. Le Lit est le récit des derniers instants de l'être aimé par la narratrice. Elle y dévoile son amour, ses doutes, ses craintes, sa tristesse mais aussi son désir absolu de vie. Dans ce roman, l'être aimé, sculpteur, se prénomme Martin, il est gravement malade. Les gestes, les attitudes, les expressions et l'état d'esprit de Martin ressemblent très fortement aux traits caractéristiques qu'avait le mari de l'auteur. L'ouvrage est dédié à Bernard, la maison que le couple romanesque habite est l'exacte réplique de celle dans laquelle vivait le couple réel [8] : « . Le chien se prénomme Ben dans le roman tout comme dans la réalité. L'auteur fait le récit d'un drame vécu : la mort, des suites d'un cancer, de Bernard Milleret. Le statut fictionnel de la narration est simplement tenu par les pseudonymes que portent les personnages. Ces pseudonymes distinguent la fiction de la réalité. Éva et Martin sont des personnages, Dominique et Bernard des individus.

     

    Dans Le For intérieur, avec le décès de Piti, c'est le thème de la mort d'un très jeune enfant que nous retrouvons (Les Marais, Anne la bien-aimée, Le Souffle) ainsi que le décor des marais de Genk.

     

    « Un nuage noir occupe entièrement le ciel. Seule la surface des Marais reste grise, presque blanchâtre, comme si le jour s'y levait. » [9]

    La présence de l'auteur au sein de la narration y est de plus en plus avouée. Effectivement, l'implication psychologique de la narratrice, les révélations de ses pensées sont telles qu'il est difficile pour le lecteur, même s'il s'agit d'un effet de lecture, compte tenu de la capacité d'introspection de la narratrice, de ne pas faire l'amalgame entre elle et l'auteur. Le For intérieur se révèle comme une apologie du ‘moi'.

     

    « Sous mes pas, sous la profondeur du tapis comprimé par mes pas, le parquet grince : bruit montant à travers la salle frappée de stupeur. Lotti, Léo, Dosia et Moi. Alex, Claire et moi. Moi et les autres, tous les autres, vieux et jeunes, là, me faisant face de l'autre côté de la table me séparant d'eux, installant entre eux et moi un mur horizontal. » [10]

     

    « Tout s'organise, développé dans un présent d'éternité, autour d'un centre unique : moi. » [11]

     

    À partir de cet ouvrage, et dans presque tous ceux qui suivront, nous nous trouvons dans la littérature du ‘moi' même si la part de fiction est toujours présente. Nous assistons à la réflexion psychologique du narrateur sur sa propre vie, à la fois spirituelle et physiologique. À propos de cette littérature, Jacques Lecarme dans L'Autobiographie pose le problème : « la littérature du moi relève-t-elle de la certitude intime ou de la poétique des genres ? » [12]. L'introspection, le monde onirique dans lequel nous emmène la narratrice seraient-ils seulement des procédés stylistiques utilisés par l'auteur ou réellement un besoin d'expression sincère de ce dernier, un exutoire ? Parce que, si tel est le cas, peut-on toujours parler de fiction ?

     

    En regardant la composition de la famille dans La Maison la forêt nous trouvons de troublantes ressemblances avec la réalité, démasquée, de la vie familiale de l'auteur. Le père, Lui, se prénomme Jan [13] (Jean en flamand) tout comme le père de Dominique Rolin, Jean Rolin. Elle et Lui ont deux filles Do et Fa (diminutifs pour Dominique et sa sœur Françoise Rolin) et un fils, , qui dans le récit est pilote d'avions (tout comme Denys Rolin). Le couple, Elle et Lui, passe ses vacances avec ses trois enfants dans un endroit où l' « on y voit les marais à G. » [14]. Nous retrouvons là les marais de Genk, lieu de vacances des Rolin dans les années Vingt.

     

    La Maison la forêt met en scène deux narrateurs omniscients, chacun s'appropriant un chapitre pour s'exprimer. Ils semblent être les parents de Dominique Rolin et l'ouvrage nous donne une sorte de journal intime du couple Esther / Jean. L'auteur joue sur le champ du réel et sur celui de la fiction. Il brouille les pistes en laissant des sous-entendus de réalité : Do mais pas Dominique, Fa mais pas Françoise, G. mais pas Genk, Ré et pas Denys mais peut-être Xavier, neveu de l'auteur qui lui aussi était pilote ! La Maison la forêt n'en reste pas moins une réelle fiction, les narrateurs ne sont pas Dominique Rolin mais ses parents... Nous pourrions alors parler d'autobiographie apocryphe. L'auteur ferait croire à ses lecteurs qu'il s'agit de sa vraie vie alors qu'en réalité, la Dominique Rolin des romans ne serait pas la Dominique Rolin écrivant. Ce serait juste un mode de rédaction destiné à perdre encore davantage le lecteur dans la fiction puisque ce dernier, croyant être dans la réalité en lisant, ne serait que dans une réalité virtuelle, montée de toutes pièces par un auteur qui se mettrait en scène dans le monde romanesque. Cela ne serait pas si étonnant puisque, d'une manière plus avérée, nous retrouvons quelques années plus tard une autobiographie apocryphe, mais avouée dans ce cas, avec L'Enragé. [15] L'auteur y met en scène à la première personne du singulier, la vie du peintre Brueghel l'Ancien. Il n'y a que très peu d'éléments sûrs concernant la vie du peintre qui serait né entre 1525 et 1530 [16]. Le Livre des peintres (Schilder-Boeck) de Carel van Mander, publié en 1604 à Harlem (Pays-Bas) est la seule source importante relative à la vie de Brueghel. Il serait originaire de Breda, non loin de Liège, tout comme le héros de L'Enragé. Nous n'allons pas faire un tableau récapitulatif des correspondances entre le peintre du roman de Dominique Rolin et la vie de Brueghel telle que nous la connaissons aujourd'hui. Elles sont très nombreuses : presque tous les éléments biographiques y sont mentionnés. Et l'auteur, pour combler les manques de précisions sur la vie historique du peintre, n'hésite pas à les inventer. Le faisant mourir « à l'âge de quarante-cinq ans » [17] en 1569, l'auteur décide que Brueghel est né en 1524 (on sait que le peintre s'est marié en 1563 à l'âge de 41 ans et qu'il est bien mort en 1569). Il est donc mort à quarante-sept ans et non quarante-cinq... D'autre part personne ne sait comment est née la vocation du peintre et c'est Dominique Rolin qui crée le moment ou enfant, le peintre entendait une voix lui dire « tu dois [...] sans discussion » [18] À plusieurs autres moments l'auteur invente la vie du peintre comme le spectacle de son village détruit par exemple.

     

    À l'instar du For intérieur, Maintenant est un roman dans lequel narrateur et auteur se superposent lors d'une introspection psychologique, le roman étant la scène où se déroule l'action. L'auteur, simultanément à sa narration décrit son acte d'écriture :

     

    « Ensemble enfin, l'une sur le mur transparent de l'air, l'autre sur le papier, l'une verticalement et l'autre horizontalement, elles achèvent leur commune histoire en écrivant le mot fin. » [19]

    Comme dans La Maison la forêt, il y a deux personnages principaux : l'un est l'auteur et l'autre la narratrice. L'ouvrage débute par une demande de la narratrice à son auteur :

     

    « Parlez-moi de vous : la phrase revient souvent dans vos lettres. J'essaie d'imaginer l'instant où vous projetez de l'écrire ; premier suspens avant que la plume touche la page, second suspens après. » [20]

    Les deux acteurs du roman évoluent dans l'instant présent en même temps que se déroule la narration. L'ambiguïté de l'existence de la narratrice, libérée de l'auteur, est semblable à la possibilité de plusieurs Moi dans un même corps. L'auteur serait un Moi de Dominique Rolin et la narratrice en serait un autre. Comme le note Jacques Lecarme dans son ouvrage, « la personnalité, comme la personne, comme le personnage, est une notion peu rigoureuse et fort mobile. » [21] Cela confirme l'ambiguïté régnant entre la personne et le personnage, entre auteur et narrateur... Alors que chaque entité romanesque tient bien sa place dans les ouvrages académiques, ici le lecteur peut avoir des difficultés à déterminer la part exacte de la fiction.

     

    L'auteur va se dévoiler, pour la première fois, comme étant la narratrice dans Les Éclairs. Nous pouvons y lire à la page 15 :

     

    « ... en mars dernier je prends un soir la décision de ranger le manuscrit du Corps devenu inutile puisque le volume se fabrique au fond d'une imprimerie. »

    La mention faite de l'ouvrage Le Corps par la narratrice peut ‘trahir' l'auteur. La narratrice, tout comme l'auteur, est créatrice de ce roman. C'est donc bien Dominique Rolin qui écrit que le manuscrit est « devenu inutile ». Ou alors, il s'agit d'un jeu destiné à ‘divertir' le lecteur. À cette question de la dualité auteur / narrateur, la narratrice nous donne ici un élément de réponse :

     

    « Nous pressentons alors que notre nous va se diviser en deux je. [...] Ainsi nous allons accéder ensemble à notre voie privée où les mots nous attendent.

    Les mots.

    Nous nous dirigeons vers l'étendue des mots, mots de pierre, mots de ciel, mots de mer. » [22]

    Les mots du roman semblent réaliser la jonction entre les deux personnages. Ainsi la part de métatexte traduit une forte volonté d'analyse, au sens psychanalytique, de l'auteur :

     

    « Je néglige le texte pour m'attarder aux illustrations dans lesquelles je peux pénétrer... » [23]

     

    ou encore

     

    « Tandis que j'avance dans l'épaisseur du texte, l'angoisse me fait lâcher prise. » [24]

    L'auteur semble ne pouvoir s'empêcher de faire intervenir son instant présent au fil de la composition romanesque.

     

    Comme dans les trois précédents ouvrages, nous trouvons de nombreuses références, au sein de la narration, à la réalité de Dominique Rolin, par exemple dans ce passage où la narratrice fait état des morts qui lui étaient chers :

     

    « Je les compte en remontant en sens inverse : ma mère, il y a cinq ans ; G. R. il y a onze ans ; M. il y a treize ans ; l'homme assassiné à l'angle d'une rue il y a vingt-cinq ans ; la petite fille aux boutons de marcassite il y a trente-cinq ans. » [25]

     

    Au moment où l'auteur écrit ces pages nous sommes en 1970 et ces morts correspondent respectivement à celles d'Esther Rolin (1965), Germaine Richier (1959), Bernard Milleret (1957), Robert Denoël (1945) et la petite Marie-Jeanne, fille de la servante des Rolin (1934).

     

    Les Éclairs figure un théâtre dans lequel l'auteur et le narrateur livrent leurs angoisses concernant l'écriture pour l'un, les souvenirs et l'enfance pour l'autre. La nécessaire reconstruction du passé pour la narratrice est alors le moyen de construire le roman pour l'auteur. Mais nous y reviendrons plus en détail dans la partie de la présente étude, L'assimilation du narrateur, facteur de liberté.

     

    Et pour montrer la relation étroite qui lie auteur et narrateur dans Les Éclairs nous pouvons citer ce passage étonnant dans lequel le lecteur trouve même l'annonce du roman suivant de Dominique Rolin :

     

    « D'où le naturel de sa réflexion après avoir lu la dernière lettre du vieil homme. » [26]

    Objectif avoué du projet d'écriture de la part de l'auteur ou simple coïncidence ? La « lettre au vieil homme » sera le titre de la publication suivante. Il est difficile de donner une réponse mais il nous apparaît qu'il y a très peu de place pour le hasard dans l'œuvre de Dominique Rolin. Cependant, on constatera que Lettre au vieil homme s'inscrit tout à fait dans la continuité des Éclairs. La narratrice, ayant fait appel à ses souvenirs marquants, passe à l'étude de l'instant présent, et plus particulièrement à sa relation avec son père. Le lecteur est alors plongé dans un discours direct. La narratrice prend les devants et embarque le lecteur, apostrophé, avec elle dans l'analyse :

     

    « Remarque bien : il est urgent que je te parle car nous n'avons plus à notre disposition, avant d'en terminer avec nous-mêmes, qu'un nombre restreint d'années, de mois peut-être. » [27]

    Les références à la réalité de l'auteur parsèment l'ouvrage, tout en les cachant un peu, comme pour justifier la fictionnalité du récit. L'auteur tient vraisemblablement au statut de ‘roman' et préfère être libre d'inventer, si l'envie lui prend, et de ne pas être tenu à une obligation de ‘vérité' qui est propre à l'autobiographie. La narratrice évoque la maison de B. (Boitsfort), son père « jean » [28], D. son frère, F. sa sœur, les marais de G., et son admiration pour Franz Kafka [29].

     

    Les rappels biographiques sont présents dans Deux. Le lecteur y retrouve une double narration semblable à celle de La Maison la forêt. Un et Deux sont les narrateurs qui échangent leurs différentes visions, chacun possédant, alternativement, l'espace d'un chapitre pour s'exprimer. Les repères biographiques de l'auteur sont identiques à ceux des précédents romans. La publication de Dulle Griet n'apportera pas non plus de grands changements : discours direct à la première personne du singulier, les personnages, les lieux, sont là aussi évoqués par des initiales (semblables à celles des précédents ouvrages, G., Fa, D. etc.) Il s'agit d'une introspection du narrateur. Pourtant, le lecteur sera surpris en lisant la quatrième de couverture de l'ouvrage lors de sa publication en 1977 :

     

    « La Dulle Griet (Margot l'enragée) de Brueghel sert de support à la narratrice du roman, Dominique Rolin elle-même. »

    L'auteur de cette phrase a tranché ! La narratrice dans ce roman est Dominique Rolin ! Pour lui il s'agit donc d'un texte autobiographique. Est-ce si sûr ? Malgré l'importance du métatexte et des correspondances entre la réalité de l'auteur et les dires de la narratrice, nous ne pouvons pas accepter une telle affirmation. Si l'autobiographie est une ‘biographie de l'auteur faite par lui-même' cela signifie que, pour qu'un ouvrage soit autobiographique, l'auteur doit le revendiquer [30]. Or à aucun moment l'auteur dans Dulle Griet ne déclare : Moi, Dominique Rolin, je raconte ma vie. De plus sous le titre de la couverture de l'ouvrage, l'appellation « roman » est précisée. Même si le lecteur sent bien qu'il y a forcément un lien entre l'auteur et la narratrice il ne peut en aucun cas affirmer que la narratrice EST l'auteur. Si l'auteur ne se dévoile pas c'est sans aucun doute pour confirmer qu'il s'agit bien d'une fiction. Dans le cas contraire, pourquoi donc l'auteur ne revendiquerait-il pas son nom et celui de tous les personnages, les endroits où se déroule l'histoire de ses souvenirs ? Les noms propres restent des initiales et c'est en cela que l'on peut parler ici d'ambiguïté. Dominique Rolin installe une sorte de flou artistique afin de jouer avec son lecteur. Elle se dévoile puis se cache, puis se dévoile... Cela crée une sorte d'intrigue supplémentaire qui va au-delà du récit lui-même. Le lecteur cherche alors, avec curiosité, s'il peut glaner quelques informations pittoresques. Ainsi, lorsque Jacques Lecarme dans l'Autobiographie [31] pose la question, « La littérature du moi relève-t-elle de la certitude intime ou de la poétique ? », nous pouvons répondre, à propos de Dulle Griet et des ouvrages de la deuxième phase d'écriture (l'exploration Nouveau Roman) parus auparavant, en disant qu'il s'agit pour le moment de poétique. Car c'est bien un effet que cherche l'auteur, il tient à intriguer, interpeller le lecteur et se sert de son « je » comme d'un procédé stylistique.

     

    L'Infini chez soi confirme ce désir esthétique de l'auteur. La narratrice y réalise la biographie de ses parents, allant même jusqu'à en donner les patronymes complets :

     

    « Tu me raccompagnes rue Jacob, propose alors Jean Rolin, et tu me fais un café bien brûlant. Esther Cladel est brisée par un accès de gaieté nerveuse. » [32]

     

    La narratrice, pour la première fois, ne cache plus sa famille derrière des initiales comme dans les œuvres précédentes. Elle affirme je suis la fille d'Esther et Jean Rolin. La narratrice dévoile son identité : elle est identique à celle de l'auteur.

     

    « Elle pressent que son image, dessertie du présent, appartient d'avance à l'époque où elle-même, Esther, ne sera plus sous la terre qu'une poignée d'os. Moi sa fille j'ose écrire cela en toute certitude. » [33]

    « C'est sorti du fond du miroir de la coiffeuse et -simultanément- du fond de moi Dominique Rolin en train d'écrire ce qui précède. » [34]

     

    La fiction semble alors délaissée au profit de la réalité. La narratrice confirme, par le biais de sa famille et de son identité, qu'elle est l'auteur. Et là nous pouvons dire qu'il s'agit d'autobiographie. Pourtant Dominique Rolin continue à surprendre le lecteur en brouillant les pistes. Esther Cladel est aussi narratrice du roman. Il y a donc deux narratrices, l'une, Dominique Rolin qui écrit :

     

    « À Paris, en 1911, soit deux ans avant ma naissance » [35]

    « On dirait que c'est moi, Dominique, qui me prépare à les engendrer. » [36]

     

    et l'autre, Esther Rolin-Cladel

     

    « Je me nomme Esther Pierrine Rolin-Cladel. Papa me disait souvent que j'étais sa pierre précieuse. » [37]

    Ce changement d'identité de la narratrice confirme au lecteur qu'il se trouve dans une fiction et qu'il y a chez l'auteur un désir esthétique plus important qu'une « certitude intime ». Philippe Lejeune, dans Le Pacte autobiographique [38], définit dans l'espace romanesque ce qu'il nomme « l'espace autobiographique ». Cet espace « impliquerait dans l'œuvre de tel ou tel auteur des interférences entre l'autobiographie et le roman de sorte qu'on lirait sur le mode autobiographique des fictions avouées » [39]. En ce sens L'Infini chez soi est un « espace autobiographique ». Puisqu'il s'agit avant tout d'une fiction avouée. D'une part, parce que l'auteur choisit d'intituler cet ouvrage (comme la presque totalité de son œuvre) roman et d'autre part, parce que seule la fiction peut permettre à un individu de narrer sa propre naissance à la première personne du présent de l'indicatif.

     

    « Esther Rolin-Cladel ose enfin lever les yeux vers le paquet replié qu'on achève de séparer d'elle, qu'on allonge et qu'on emmaillote. Tout se passe à ce moment comme si mon début et ma fin cherchaient un moment à se toucher. Je cesse d'être un œuf, je sais que je mourrai un jour, donc je n'ai pas du tout envie de vivre. » [40]

    Dans Le Gâteau des morts la narratrice continue à affirmer son identité :

     

    « ‘Madame Rolin a soif ?' lance à la cantonade l'infirmière qui a compris que je désirais du vin » [41]

    ainsi que dans La Voyageuse :

     

    « Moi qui me suis nommée Dominique Rolin durant presque un siècle, je refuse de me conformer à l'effondrement universel. » [42]

    Dans les romans suivants (L'Enfant-roi, Trente d'amour fou, Vingt chambres d'hôtel, Deux femmes un soir) la narratrice cache à nouveau son identité. Il s'agit toujours d'exploration de sa mémoire, d'amour, de crise de la cellule familiale mais dont les héros n'ont même plus les initiales de personnages réels. Dans l'Enfant-roi le narrateur, Ariel, est né le 14 juin (l'auteur le 22 mai) et porte le nom de famille « B. ».[43] Dans Trente ans d'amour fou la narratrice n'a pas d'identité. Elle est amoureuse de Jim et les autres personnages se prénomment Youri, Francesca, Harold Moor [44]. Dans Vingt chambres d'hôtel c'est UN narrateur qui entreprend le récit, il se prénomme Klaus Van Zeel est banquier et a quarante-quatre ans [45]. Et enfin, dans Deux femmes un soir, il s'agit de deux narratrices (nous retrouvons là une forme de composition chère à l'auteur) qui se partagent le récit, Constance, la mère, et Shadow, la fille.

     

    C'est avec Le Jardin d'agrément que réapparaît la narratrice Dominique Rolin.

     

    « Il n'y a plus d'issue pour Domi. [...] Esther m'a tirée du lit et m'emporte dans la chambre où Jean dort à poings fermés. Elle me serre contre elle avec passion mais elle souffre le martyre à cause des abcès lui rongeant les seins, ah, elle allaite encore Denys pourtant âgé de trois ans. » [46]

     

    Puis le lecteur la retrouve dans L'Accoudoir :

     

    « Voyons, Dominique, pourquoi t'obstines-tu ? » [47]

    et enfin, toujours présente dans La Rénovation :

     

    « [...] je lui soumets aussitôt mon dossier impôts avec une certaine fierté, la citoyenne Rolin est honnête jusqu'à la moelle. » [48]

    Dominique Rolin fait-elle le récit de sa propre existence ? Voici la définition bien connue de l'autobiographie que donne Philippe Lejeune dans L'Autobiographie en France [49] : « Nous appelons autobiographie le récit rétrospectif en prose que quelqu'un fait de sa propre existence, quand il met l'accent principal sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité. » Pour affirmer que les ouvrages roliniens ne sont pas que de simples autobiographies, il faudrait être certain que l'auteur ne fait pas le récit rétrospectif de sa propre existence. Dans le Gâteau des morts, la narratrice décrit ses derniers instants de vie. Elle se projette dans le futur et imagine ses derniers battements de cœur. C'est alors une anticipation et pas une rétrospective. Cet ouvrage n'est donc pas une autobiographie ; il en va de même pour L'Infini chez soi, La Maison la forêt, Deux, Deux femmes un soir, dans lesquels Dominique Rolin n'est pas la narratrice mais sa propre mère, son père, sa fille... Les romans roliniens semblent avoir une dimension supplémentaire qui leur permet d'aller au-delà de la propre existence de l'auteur.

     

     

    II. 1. 2. Entre autobiographie et fiction : l'autofiction.

     

     

    « J'en ai soudain par-dessus la tête de mon je. Depuis combien de siècles y suis-je enchaînée ? Les flèches du je ont petit à petit empoisonné mon système nerveux. [...] Au panier mes brouillons d'autobiographies farceuses. Offrons-nous du romantisme abject, une réalité bien en chair. » [50]

     

    Comme nous l'avons vu dans la précédente partie, une ambiguïté règne dans l'œuvre rolinienne quant aux statuts respectifs de l'auteur et du narrateur. L'auteur joue en se dévoilant à certains moments, comme personne réelle, et en se cachant à d'autres. Pour Jacques Lecarme, l'inventeur de l'autobiographie est Jean-Jacques Rousseau avec Les Confessions. Il est le premier à laïciser le modèle de l'autobiographie (qui correspond à l'autobiographie telle que nous l'entendons aujourd'hui), c'est-à-dire « le plus court chemin de soi à soi » [51] sans passer par Dieu. Malgré tout, Jean-Jacques Rousseau, dans son préambule au manuscrit de Neuchâtel, affirme :

     

    « Nul ne peut écrire la vie d'un homme que lui-même. Sa manière d'être intérieure, sa véritable vie n'est connue que de lui : mais en écrivant, il la déguise ; sous le nom de sa vie, il fait son apologie ; il se montre comme il veut être vu, mais point du tout comme il est. » [52]

    Il ne veut pas croire en la possibilité d'une autobiographie sincère et objective. L'auteur ne se dévoilant pas comme il est réellement mais comme il aimerait être vu, elle revêt forcément un caractère fictif.

     

    Il est probable que dans les romans roliniens, où apparaît la narratrice Dominique Rolin, l'auteur réalise son récit sur le mode autobiographique, sorte de moyen permettant d'une part (nous l'avons noté plus haut), d'intriguer le lecteur, d'autre part de lui permettre de s'identifier plus facilement à la narratrice. Nous ne pouvons qualifier ces ouvrages d'autobiographie puisque l'auteur revendique la fiction romanesque. Naguère encore, lors d'une intervention de Bernard Pivot, sur le plateau de Bouillon de culture, à propos de Journal amoureux Dominique Rolin a répondu à la question de l'autobiographie : « ce n'est pas moi, mais une autre Dominique » [53]. Cette contradiction révèle un désir d'analyse tendant à identifier tous les ‘visages' de la personne ou du personnage Dominique Rolin.

     

    Le titre du roman Journal amoureux, semble indiquer que cet ouvrage est un journal intime (l'adjectif amoureux donne à penser qu'il s'agit là d'intimité). Mais le titre n'est pas obligatoirement le reflet du contenu de l'ouvrage : il n'est qu'un titre, choisi par l'auteur et qui peut être sujet à diversions destinées à intriguer le lecteur... Mais, communément, le titre donne au lecteur une part, avant la lecture de l'ouvrage, du sujet ou du contenu. Mettons-nous dans la position du lecteur X qui cherche dans une librairie un nouveau roman à lire. Il voit le titre Journal amoureux. Il s'attend à lire un journal, un journal intime. Le journal intime n'est pas strictement un acte autobiographique. Il doit rendre compte d'un jour après l'autre mais pas d'une vie complète telle l'autobiographie. Il suppose que le scripteur ne se corrige pas et qu'il n'ait pas de contraintes concernant le volume produit. Comme le précise Jacques Lecarme dans son ouvrage, ce sera par l'intégralité d'un journal et après le décès de son rédacteur que la lecture va en devenir autobiographique. Le journal intime occupe donc une place non négligeable aux côtés de l'autobiographie. [54] La narratrice de Journal amoureux est Dominique Rolin. Elle ne se dévoile pas en se nommant en tant que narratrice, mais nous retrouvons les indices chers à l'auteur sur sa réalité. Il y a le père et la mère (Jean et Esther Rolin), le chien Ben et Martin (Bernard Milleret) et à ceux-ci s'ajoute le jeu de la narratrice qui donne à penser au lecteur qu'elle est l'auteur.

     

    « - Journal amoureux, que penses-tu de ce titre pour ton prochain livre ? dit Jim le lendemain matin en me quittant. » [55]

     

    Dominique Rolin intitule Journal amoureux ‘roman'. Voilà une contradiction du type ‘c'est moi et ce n'est pas moi'. Le journal intime n'est pas supposé être une fiction, surtout lorsque le narrateur fait tout pour être considéré par le lecteur comme étant le scripteur / auteur. Pourtant, ce dernier tient particulièrement au statut fictionnel de son journal puisqu'il précise sur la couverture de l'ouvrage qu'il s'agit d'un roman, alors que seul le titre, Journal amoureux, pouvait suffire à déterminer le type d'ouvrage. Car enfin, un journal n'est pas un roman, un recueil de nouvelles ou de poèmes n'est pas une pièce de théâtre et des mémoires ne sont pas des romans noirs. Alors pourquoi l'auteur décide-t-il cette contradiction du journal romanesque ? A-t-il peur d'assumer l'autobiographie ? Est-ce un vrai journal, une vraie autobiographie ? Vraisemblablement pas puisqu'il décide d'appliquer l'appellation ‘roman' à son ouvrage. Même si l'un des rôles de la critique littéraire est d'aller parfois au-delà des intentions de l'auteur, il nous semblerait aberrant d'oser remettre en cause le pouvoir de l'auteur quant au statut de sa création. Si Dominique Rolin choisit d'affirmer que le journal rédigé par une narratrice se prénommant Dominique Rolin, est un roman, cela est son droit. Pourtant cela semble être, chez elle, une volonté constante de brouiller son lecteur, de lui faire perdre ses repères.

     

    En 1977, Serge Doubrovsky, pour la quatrième de couverture de son livre Fils [56], invente le terme « autofiction ». Fils est le récit au présent d'un personnage qui se prénomme Julien Serge Doubrovsky. Il est enseignant en littérature et raconte sa journée, son passage chez son psychanalyste, parle de la mort de sa mère... Le lecteur assiste à l'analyse des pensées et souvenirs du narrateur (tout comme dans les ouvrages roliniens). Et pourtant, Doubrovsky réfute le classement de cet ouvrage au rang d'autobiographie et l'assume en l'intitulant, lui aussi, roman. Il souligne qu'il ne s'agit pas d'autobiographie mais plutôt d' « une transformation à partir du matériau de ma propre vie, ce que j'appelle d'un terme un petit peu barbare, sa textualisation. Car pour un autobiographe rien n'existe, même pas sa vie, avant son texte. » [57]. Doubrovsky affirme que l'autobiographie traditionnelle repose sur un « effet de recul » [58]. Elle nécessite la reconstitution d'une vie complète. Alors que dans l'autofiction tout se passe au présent. Jacques Lecarme définit celle-ci dans son ouvrage comme « un récit où auteur, narrateur et protagoniste partagent la même identité nominale et dont l'intitulé générique est roman. » [59]

     

    On a parfois tiré à boulets rouges sur l'autofiction comme on le fait souvent sur les nouveautés. Elle a même été dénoncée par certains comme « une prothèse boiteuse » [60] qui ne serait rien de plus qu'une autobiographie masquée et non assumée par son auteur.



    [1] La Rénovation, p. 110

     

    [2] La Rénovation, p. 111

     

    [3] L'Accoudoir, p. 110

     

    [4] ibid., p. 42

     

    [5] Entretien privé avec D. Rolin du 14/12/1995. V. dessin en annexe, p. XXXXX

     

    [6] Nous le retrouverons, en 1996 dans L'Accoudoir, là encore, dans une narration mais dans laquelle la fiction semble avoir disparu puisque nous lisons :

    « Je les reconnais. Marie-Jeanne, l'enfant de notre servante, s'est éteinte en 1934 à Bruxelles après une brève maladie. » p. 39

     

    [7] Moi qui ne suis qu'amour.- Denoël : Paris, 1948.- 266 p.

     

    [8] La maison de Villiers-sur-Morin en Seine-et-Marne que l'on peut voir dans le film L'Infini chez soi de Jean Antoine op. cit.

     

    [9] p. 95

     

    [10] p. 186

     

    [11] p. 245

     

    [12] L'Autobiographie.- Armand Colin : Paris, 1997.- 315 p.- p. 19

     

    [13] La Maison la forêt, p. 119

     

    [14] ibid. p. 114

     

    [15] L'Enragé.- Ramsay : Paris, 1978.- 207 p.

     

    [16] V. GENAILLE, Robert.‑ Brueghel l'Ancien.‑ Éditions Pierre Tisne : Paris, 1953.‑ 196 p.

     

    [17] L'Enragé, p. 11

     

    [18] ibid, p. 27

     

    [19] Maintenant, p. 266

     

    [20] ibid. p. 11

     

    [21] V. L'Autobiographie, p. 57

     

    [22] Les Éclairs, p. 58-59.

     

    [23] p. 65

     

    [24] p. 181

     

    [25] p. 162

     

    [26] p. 170

     

    [27] Lettre au vieil homme, p.8

     

    [28] p. 74 : le prénom « jean », tout au long de cet ouvrage, est toujours écrit avec un ‘j' minuscule.

     

    [29] p. 10 et 11

     

    [30] Nous nous inspirerons notamment des travaux de P. Lejeune pour approfondir la notion d'autobiographie.

     

    [31] op. cit.

     

    [32] L'Infini chez soi, p. 144

     

    [33] p. 178

     

    [34] p. 205

     

    [35] p. 9

     

    [36] p. 191

     

    [37] ibid.

     

    [38] LEJEUNE, Philippe.- Le Pacte autobiographique.- Paris : Seuil, 1975.- coll. « Poétiques ».- 253 p.

     

    [39] Le Pacte autobiographique, p. 165

     

    [40] L'Infini chez soi, p. 215

     

    [41] Le Gâteau des morts, p. 93

     

    [42] La Voyageuse, p. 144

     

    [43] L'Enfant-roi, p.9

     

    [44] Trente ans d'amour fou, p.71

     

    [45] Vingt chambres d'hôtel, p. 23

     

    [46] Le Jardin d'agrément, p. 19

     

    [47] L'Accoudoir, p. 110

     

    [48] La Rénovation, p. 13

     

    [49] LEJEUNE, Philippe.- L'Autobiographie en France.- Armand Colin : Paris, 1971.-

     

    [50] V. La Rénovation, p. 78-79

     

    [51] L'Autobiographie, p. 22

     

    [52] ROUSSEAU, Jean-Jacques.- Œuvres complètes.- Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade : Paris.- p. 1149

     

    [53] Émission Bouillon de culture, présentée par B. Pivot, France 2, le 24 mars 2000

     

    [54] L'Autobiographie, p. 243

     

    [55] p. 11

     

    [56] DOUBROVSKY, Serge.- Fils.- Galilée : Paris, 1977

     

    [57] Propos recueillis par Ludovic LEONELLI, pour le ° 3 de la revue NRV.- Massot : Paris, 1997.- p. 85-92.

     

    [58] ibid.

     

    [59] L'autobiographie, p. 268

     

    [60] GENETTE, Gérard.- Fiction et diction.- Seuil, coll. « Poétique » : Paris, 1991.- p. 84

     



    votre commentaire
  • Serge Doubrovsky ne revendique pas le concept de l'autofiction. Il affirme qu'il n'a fait qu'inventer le mot. L'exemple dont il se sert pour démontrer l'existence autonome de l'autofiction (exemple repris de nombreuses fois) est celui de Dante qui, dans le chant XXX du Paradis, place son patronyme dans la bouche de Béatrice. Le héros est Dante, le narrateur est Dante, l'auteur est Dante et pourtant ce n'est pas une autobiographie. Peut-être Dante était-il le premier « autofictionniste » ? Notre propos n'est pas de nous étendre sur la polémique concernant le bien-fondé de ce genre. Nous décidons de le considérer d'emblée comme utile car, en inventant le terme, Serge Doubrovsky a formalisé un genre littéraire, à la croisée du roman et de l'autobiographie, qui ne portait, jusque-là, pas de nom.

     

    Lorsque l'autofiction est dénoncée par Gérard Genette comme une « prothèse boiteuse » (sic) de l'autobiographie il nous apparaît très important de préciser qu'autofiction n'est pas ‘autobiofiction'. Car l'autofiction n'est pas une autobiographie masquée, plus ou moins mal assumée, mais réellement une pure fiction, un roman à la première personne dans lequel le nom du narrateur correspond à celui situé sur la couverture de l'ouvrage. L'autofiction n'est qu'une fiction du ‘moi' dans laquelle l'auteur décide d'être son propre acteur tel un cinéaste se mettant en scène dans le film qu'il produit et réalise.[1] Elle s'apparente donc à une sorte de mise en abyme de l'auteur romanesque.

     

    En essayant de montrer les différents rapports entre fiction et réalité de l'auteur dans les ouvrages roliniens, nous avons constaté qu'à chaque fois notre désir de montrer l'aspect autobiographique était stoppé net par la fiction. À aucun moment nous n'avons pu démontrer qu'un ouvrage de l'auteur était une autobiographie même masquée. Cette impossibilité confirme que le mode d'écriture de Dominique Rolin est autofictionnel et qu'il est beaucoup plus proche du genre romanesque que de celui de l'autobiographie. Rappelons-nous simplement La Voyageuse dans lequel la narratrice défunte, contemple, du ciel, les vivants et lie des amitiés avec ses compagnons morts.

     

    L'auteur semble se servir de l'autofiction pour baigner le lecteur dans un espace romanesque au sein duquel les frontières entre fiction et réalité sont soit mobiles, soit inexistantes. Cet espace, seule Dominique Rolin en garde la maîtrise. Par exemple, dans L'Accoudoir, un des personnages centraux, Jim, garde son pseudonyme, il nous reste inconnu alors que l'auteur se dévoile comme étant la narratrice Dominique Rolin. Le critère principal du pacte autobiographique [2] est l'identité, elle est le dernier rempart entre fiction et réalité. Dans l'autofiction ce dernier tombe. L'identité devient elle-même fiction. Voilà pourquoi l'essai de discrimination entre le réel et le fictif, entre l'auteur et ses narrateurs, ne peut aboutir.

     

     

    II. 1. 3. L'assimilation du narrateur, facteur de liberté.

     

     

    « Son imagination est déloyale, dépravée, arbitraire. Il est pourtant curieux d'observer ses petites mains maladroites jouant sur le clavier de la machine à écrire. La défonce rapide et cadencée de chaque touche - correspondant au fil de la bobine enfermée sous son front - pourrait n'avoir ni commencement ni fin. Aucune logique dans la giration qui parfois s'interrompt, repart, grince et s'encrasse. » [3]

     

    À une oeuvre romanesque à part entière, nourrie, comme nous venons de le voir, d'un important contenu autobiographique, sous un éclairage multiple où l'auteur et le narrateur jouent des différents registres de l'ambiguïté, s'ajoute une dimension supplémentaire que nous allons maintenant tenter de caractériser et qui nous permettra de mieux cerner l'écriture de Dominique Rolin.

     

    Au cours de notre étude nous avons souligné l'importance prépondérante de l'analyse psychologique reprise à chaque roman par les narrateurs(trices) et par les interventions métatextuelles de l'auteur. Le désir de compréhension de soi quasi-obsessionnel de Dominique Rolin, les rêves, les souvenirs, les relations familiales et l'amour, nous poussent à nous demander pourquoi l'auteur nous apparaît autant impliqué au sein de ses narrations.

     

    Philippe Vilain, dans sa thèse Le Sexe et la mort dans l'œuvre d'Annie Ernaux [4] indique que, pour Annie Ernaux, la fiction « permet de se protéger en maintenant le doute sur l'identité du je qui s'exprime dans le texte. [...] l'écran romanesque rend incontestablement ces phrases supportable et atténue leur violence. » [5] Il finit par assimiler le « couple narratrice-auteur » à une autre qui serait « je/fiction ou je/réel » [6]. Ainsi, Philippe Vilain qualifie le roman Les Armoires vides [7], de « roman autobiographique ». La fiction permettant alors à l'auteur d'exprimer des expériences (notamment sexuelle dans le cas des Armoire vides) ou des pensées (comme le mépris de vis à vis de ses propres parents) qui socialement seraient beaucoup plus inavouables que dans l'espace fictif du roman. Ce dernier devenant alors un réel exutoire.

     

    Il nous semble que chez Dominique Rolin, l'espace du roman n'est pas utilisé comme prétexte à exprimer simplement ce qui ne pourrait l'être socialement. Sans que la fonction d'exutoire soit totalement rejetée, le roman rolinien nous apparaît plus être une sorte d'aire d'études, un espace sujet à l'expérimentation .

     

    Chaque ouvrage ressemble à une véritable recherche psychanalytique. Par exemple, Le Souffle, où l'on assiste à la difficulté des enfants à surmonter la mort du père et à trouver chacun sa place au sein de la famille ; La Maison la forêt, description des relations du vieux couple Esther et Jean Rolin ; Les Éclairs, où la narratrice analyse un ensemble de souvenirs ayant marqué sa vie et revenant comme des éclairs ; Deux femmes un soir, mettant en scène les rapports de force entre une mère et sa fille ; Deux, Un et Deux sont les deux visages opposés de la narratrice ; Le Jardin d'agrément, où se mesurent deux narratrices, celle du passé, jeune écrivain plein d'ambition et de rêves, et celle du présent, romancière accomplie, dotée d'une mémoire infaillible, revenant sur les souvenirs de sa vie ; Trente ans d'amour fou, où la narratrice, par l'intermédiaire du temps présent et de ses souvenirs, fait l'apologie de l'être aimé... Dans tous les ouvrages roliniens depuis 1943, les narrateurs semblent animés par une incessante quête. Jean-Pierre Richard dans son avant-propos au célèbre Littérature et sensation affirme que l'on « s'accorde communément aujourd'hui à reconnaître à la littérature une fonction et des pouvoirs qui débordent largement son rôle ancien de divertissement, de glorification ou d'ornement. On aime à voir en elle une expression des choix, des obsessions et des problèmes qui se situent au cœur de l'existence personnelle. Bref, la création littéraire apparaît désormais comme une expérience, ou même comme une pratique de soi, comme un exercice d'appréhension et de genèse au cours duquel un écrivain tente d'à la fois se saisir et se construire. » [8]

     

    Le caractère autofictionnel des romans de Dominique Rolin nous incite à les lire dans cette perspective.

     

    Les héros roliniens cherchent à reconstruire leur passé ; leur objectif : mieux appréhender leur présent. Cette reconstruction passe par un répertoire méticuleux des souvenirs marquants de l'enfance. C'est déjà le cas pour Anne Mathias (Anne la bien-aimée) qui, ne voyant pas de solution pour revenir sur la période heureuse de l'enfance, préfère se donner la mort. Mais aussi pour Auguste Yquelon (Le Souffle) : il garde fièrement les souvenirs vécus lors de l'enfance de sa progéniture, enfance qui n'appartient qu'à lui. Quant à Constant, dans Le Gardien, voyant la destruction du domaine pour lequel il a donné sa vie, il revit les jours heureux de son enfance ; Brueghel l'Ancien (L'Enragé) lui, revient sur son passé pour affronter sereinement la mort tout comme la narratrice de la trilogie rolinienne (L'Infini chez soi, Le Gâteau des morts, La Voyageuse). Celle-ci va même jusqu'à inventer, un passé trop lointain pour qu'elle s'en souvienne, sa propre naissance et même son avant-naissance, mais passé nécessaire pour franchir le cap de la mort (Le Gâteau des morts). C'est un narrateur de sept ans, Ariel B, qui a la charge de décrire, avec les yeux critiques de l'âge de raison, le monde l'entourant dans L'Enfant-roi. Cette nécessité pour l'auteur de faire appel à l'enfance montre son désir de réinventer, recréer l'antécédent, manière d'expliquer le présent en rappelant le passé. Car le présent n'est pour l'auteur que l'aboutissement logique d'une multitude d'actions passées. Dans son avant-dernier ouvrage, Journal amoureux, Dominique Rolin annonce une grande décision de rupture. Elle en a enfin fini avec l'exploitation des souvenirs de son enfance.

     

    « Je m'étais promis de mettre fin à l'exploitation répétitive de mon enfance. Elle a trop longtemps servi, elle est usée, il serait de bon ton de me débarrasser de ses déchets. » [9]

     

    Mais cette tentative échoue un peu plus loin dans une affirmation de liberté revendiquée :

     

    « Eh bien, là encore, une fois de plus je vais me payer le luxe de trahir la parole donnée comme si je voulais me lancer un défi. » [10]

     

    Cela montre à quel point il est difficile pour l'auteur de renoncer à l'utilisation de ses souvenirs. Il n'en est réellement pas capable car, cette enfance, est « la cause de tout ».[11]

     

    Il ne faudrait pourtant pas croire que l'auteur porte sa jeunesse comme un fardeau dont il userait de façon quasi-obessionnelle au risque de stériliser toute évolution, bien au contraire ! En se servant de ses souvenirs et de ses regards d'enfant, Dominique Rolin multiplie les pistes d'investigation nécessaires à sa réflexion. Grâce à cette enfance, toujours bien présente à son esprit, elle donne à son discours un double ton : celui de l'enfant et celui de l'adulte ; mais aussi celui de la mère et celui de la fille (Deux femmes un soir). Nous retrouvons souvent cette caractéristique duelle chez Dominique Rolin, capable de double vision permettant à la fois l'émerveillement et la curiosité de l'enfant assoiffé de connaissance (Ariel, qui dans l'Enfant-roi, se demande pourquoi ses parents lui ont donné un tel prénom ou qui décrit les personnes qui lui remettent ses cadeaux pour l'anniversaire de ses sept ans) et le constat incisif et froid des adultes devant la dure réalité de la vie (par exemple la désacralisation de l'accouchement décrit dans L'Infini chez soi). Comme Dominique Rolin le dit elle-même, chaque ouvrage est un moyen de reconstruire les « maisons » de son enfance dont le souvenir lui est resté obsédant. [12]

     

    L'auteur cherche à découvrir le « ‘moi' conscient et le ‘moi' inversé, réfléchi, agissant librement au fond du sommeil. » [13]. Ces deux ‘moi' peuvent être respectivement traduits par le ‘moi réel' (Dominique Rolin, romancière) et le ‘moi fictionnel' (Dominique Rolin, héroïne et narratrice). Dominique Rolin est animée par une dualité qui se retrouve à tous les niveaux de sa personnalité. Elle est aussi bien une héroïne de roman qu'un auteur, une enfant qu'une adulte, à la fois capable de méchanceté cruelle comme dans La Maison la forêt [14] notamment, et de volupté confondante dans Trente ans d'amour fou et Journal amoureux.

     

    « La Dominique 1921 pénètre à tire-d'aile la Dominique 2000 » [15]

     

    Cette réalité de deux Dominique a toujours été présente dans l'œuvre mais plus particulièrement à partir de 1960, date à laquelle le ‘je' narrateur a pris le dessus sur toute autre forme de rédaction. Déjà la narratrice des Éclairs affirmait :

     

    « Sur le mur de l'air, je me vois doublement reflétée. » [16]

     

    Comme toujours, Dominique Rolin propose à son lecteur les clefs qui lui permettront de mieux pénétrer dans son œuvre et d'y trouver son chemin. La romancière, mobilisant toutes les ressources de son esprit, trouve les mots, agence les phrases qui donneront corps à ses personnages. Mieux, ces mots alignés, agencés comme les briques d'un édifice, construiront un corps, des pensées, des actions, une existence.

     

    « Arrière, choses encombrantes ! place aux mots. Ceux-ci doivent être traités avec amour et respect car ils sont le sel et le sang de nos corps. Sois excessive, ma chère (me dis-je aussi), à leur égard, ne crains pas de les cracher par les yeux sur ton manuscrit comme ils viennent, c'est-à-dire hors contrôle. Ils sont heureux parce que tu maîtrises l'action. Fais-les jongler, ils n'attendaient que ça... » [17]

     

    Les mots, Dominique Rolin ne se contente pas de les choisir avant de les écrire, elle les mord, les avale, les digère littéralement avant de les ‘recracher' sur son manuscrit à l'image de ce passage de Dulle Griet que nous avons cité en page quatre-vingt-quatre de notre étude dans lequel la narratrice semble mordre et avaler les mots. Ce processus d'assimilation des mots va plus loin que ce qu'une pudeur, un peu pointilleuse, ne nous autoriserait à citer puisque cette digestion va jusqu'à son terme.

    « Nous nous dirigeons vers l'étendue des mots, mots de pierre, mots de ciel, mots de mer. Il va falloir les porter , les enrouler autour de nos têtes et les ouvrir comme on fend un sexe, les modeler avec nos baves et nos sangs, les échanger, les décharger, les trier, les maudire, cracher dessus, coïter sur leurs déchets, puis les ramasser et les cuisiner à nouveau, les flairer - drogue ou poison - les laisser mijoter, les aimer jusqu'au crime en arrachant leurs testicules, leurs ovaires, les bouffer, les digérer pesamment ou les vomir, les voir bâtir au loin leurs habitacles, élever des ponts, tracer leur chemin. » [18]

     

    Ce rapport, véritablement physiologique (formalisé par un champ lexical, comme ci-dessus, de la ‘digestion') entre l'auteur et les mots qui lui servent à bâtir ses personnages, nous apparaît comme l'éclairage supplémentaire, indispensable pour saisir le rapport qui existe entre auteur et narrateur chez Dominique Rolin. C'est un peu comme si l'auteur approchait son narrateur, l'abordait, le disséquait, le mâchonnait, le digérait et l'assimilait jusqu'à en faire sa propre substance, distillée au fil des mots. Le narrateur, ainsi ‘mangé', fait corps avec l'auteur, il est dans l'auteur, il est l'auteur. Lorsque nous parlons d'assimilation c'est véritablement dans le sens ‘incorporer à l'organisme'. Car il y a, comme le montre le passage suivant [19], une réelle relation physique entre l'auteur et la narratrice. Dans Deux Dominique Rolin met en scène ses deux ‘moi' et le lecteur assiste au combat interne de la narratrice-auteur :

     

    « Deux parle :

    [...] Salope ! elle a osé s'introduire en moi pour m'y voler ma réflexion en grattant la paroi interne de mon crâne. Elle emprunte mon trajet bouche-anus afin de se nourrir de mes petits chancres secrets chéris. Fallait s'y attendre. Vais-je la gifler ? Surtout pas. Trouver un moyen de revanche plus subtil. Elle ignore ce dont je suis capable. Elle croit que rien ne peut déranger l'harmonie de nos contradictions. » [20]

     

    Dominique-auteur, Dominique-narratrice finissent par ne plus former qu'un seul corps, avec plusieurs personnalités. Vision double et contradictoire qui offre à l'écrivain un éventail élargi de possibilités d'introspection, d'observations et de réflexions sur le monde des relations et des sentiments. Ce dédoublement est l'objet d'un véritable combat :

     

    « Moi je dis que nous devons nous reposer là-haut pour de bon.

    Moi je dis que j'ai trop à faire.

    Moi je dis qu'il faut m'obéir.

    Moi je dis que tu travailleras dix fois mieux après.

    Moi... je... dis... Elle interrompt son murmure. Elle se fait lourde. Tout devient simple, torrentiel. Je l'enlève. Je vole au sixième. Je l'étends sur le lit avec toutes sortes de simagrées grotesques qu'elle accepte sans rechigner. » [21]

    Les ‘moi' s'opposent, l'un veut travailler, l'autre veut se reposer et après quelques échanges impératifs, l'un l'emporte : le corps va se reposer.

    C'est cette consubstantialité plus ou moins homogène qui nous semble être un élément essentiel de cette formidable ambiguïté que nous avons précédemment étudiée et qui nous interpelle tout au long de l'œuvre de Dominique Rolin.

     

    « En silence nous observons l'étrange échantillon d'humanité qu'elle nous propose : fait d'une part animale, une part divine, une part morte, une part folle. Cela est si effrayant, si beau que de nouveau je parviens à m'évader. Mon corps tombant de moi comme une peau sèche, j'assiste à ce qui n'est plus moi. Je deviens l'auteur-acteur-spectateur-briseur de moi. » [22]

     

    Dominique Rolin explique elle-même son fonctionnement, elle nous aide à comprendre, comme le montrent les deux exemples ci-dessus et ci-dessous :

     

    « Ma faculté de vision s'est élargie dans toutes les directions : elle peut se courber, serpenter, se refermer indéfiniment. Il n'y a plus d'extérieur ou d'intérieur. Tout s'organise, développé dans un présent d'éternité, autour d'un centre unique : moi. » [23]

    Dominique Rolin, grâce à son statut duel narratrice-auteur, réussit à développer son champ de vision sans limites. Son personnage, étant à la fois créé et créateur, réussit à s'enfoncer aussi bien dans l'auto-analyse fictive du héros que dans l'introspection des sentiments d'une femme auteur ou dans l'étude instantanée de la création elle-même. Comme si cette vision caméléonesque était un moyen d'être libre, à la fois juge et partie, intime et étrangère, réelle et fictive. Ainsi dans Le For intérieur, où pour exprimer la manière dont s'organisent le rêve et la réalité dans le récit, la narratrice-auteur donne, là encore, elle-même l'explication [24] :

     

    « La scène vient de ce que Léo et la petite-fille appartiennent à deux mondes superposés, incommunicables. » [25]

    Dans Les Éclairs aussi, la narratrice-auteur dévoile non seulement les raisons qui la poussent à l'écriture de ses souvenirs et de ses sentiments, mais aussi l'annonce indirecte de ses projets romanesques :

     

    « Entre l'instant d'autrefois, lors de mon avant-naissance et celui plus tard lors de mon après-mort, se tend le trajet des mots. » [26]

    Elle va même se justifier directement vis à vis de son lecteur concernant ses choix dans l'élaboration de ses ouvrages :

     

    « Je néglige le texte pour m'attarder aux illustrations dans lesquelles je peux pénétrer puisque je suis un enfant. » [27]

    Le lecteur suit alors, au fur et à mesure, toute la conception de l'ouvrage. Le processus de la création se construit sous ses yeux. Il peut reconnaître les outils et l'usage qu'en fait l'auteur pour élaborer son texte.

     

    « Le ton se précipite. Elle écarte délibérément toute logique narrative. » [28]

     

    Lorsque nous avons explicité le caractère autofictionnel des romans roliniens, nous avons montré comment l'auteur, s'insinuant dans l'ouvrage, devenait lui-même un personnage au même titre que le narrateur. Cette égalité de statut procure, alors à l'auteur, une particulière liberté. Celle qui lui permet d'écarter « délibérément toute logique narrative ». Il n'y a plus de héros, plus de narrateur, plus d'auteur, plus de récit avec un début et une fin, plus de passé, présent ou futur. Il y a un espace, le roman, au sein duquel les séparations normatives entre auteur / narrateur / héros n'existent plus. Le narrateur est à la fois héros et auteur, le héros est narrateur-auteur et réciproquement.

     

    Le temps de la narration subit lui aussi les conséquences de la perte de logique narrative. Ainsi, dans L'infini chez soi, le lecteur est spectateur d'une scène sur laquelle se trouvent deux narratrices, l'une en 1913 (Esther : la sœur d'Ève Cladel) l'autre en 1980 (Dominique : la narratrice qui raconte sa propre naissance), toutes deux évoluant dans un même présent.

     

    « Qui vient vers le lit de l'accouchée, telle une apparition flamboyante et saugrenue ? Ève Cladel, ma sœur presque jumelle, parfaitement, arrivée de Paris à l'improviste, et qui pleure de joie, se penche sur le berceau, toute secouée de petits sanglots élégants [...] Pourtant sous l'auvent de mon berceau ourlé de dentelle, le nouveau-né que je suis demeure habilement impassible, les paupières violemment serrées sur son secret. » [29]

     

    Dans Vingt chambres d'hôtel le narrateur, Klaus, fait le récit de ses expériences passées, de ses souvenirs. Le temps principal de la narration à la première personne du singulier est le passé composé. Et soudain le récit est bousculé, l'auteur intervient :

     

    « Quelqu'un m'avait dominé dans l'affaire. Et ce quelqu'un que je maudissais tout bas n'était rien moins que la romancière en train d'écrire à la première personne l'histoire d'un certain Klaus Van Zeel.

    Une femme se permet de dire je à la place de l'homme que je suis ! Sans hésitation et sans scrupule, elle se croit naïvement capable de changer de sexe au pays de l'écriture.

    Or que sait-elle vraiment de la nature intime de l'homme, cette imbécile ? [...]

    Par conséquent me venger de l'auteur de ce livre serait idiot. M'y soumettre au contraire ne manquerait pas d'allure.

    Alors, poursuivons en gardant les yeux fermés.

    Mes forces revenaient. Je me suis payé un second petit déjeuner. Sous le hachoir de mes dents les croissants chauds n'étaient rien d'autre que... » [30]

    Klaus, personnage fictif affirme librement sa propre réalité. Il envisage de se détacher de son créateur comme si, héros romanesque, il avait une existence individuelle, libre de ses choix, acceptant ou non de se soumettre à l'autorité de son auteur.

     

    L'assimilation du narrateur donne à Dominique Rolin la possibilité d'entrer et de sortir de ses personnages, de ses récits, de soi-même. À un tel point que, comme le montre l'exemple de Klaus, les personnages inventés semblent alors exister par eux-mêmes. Être ou ne pas être dans son propre corps, réussir à s'en détacher pour l'observer, voilà une préoccupation, chère à l'auteur depuis longtemps, comme le montre l'exemple suivant dans Le Lit en 1960 :

     

    « Il faisait bon dans ses bras berceurs, le spectacle du dehors était beau. Le dehors et le dedans. J'aimais mon dedans. J'aimais le dehors, vu de mon dedans. » [31]

     

    et dans Le Rénovation en 1998 :

     

    « Car le dehors vient à moi dès que je le désire. L'imaginaire de mon dehors est un feu névralgique permanent qui me permet de défier les lois minables de la pesanteur. » [32]

    L'assimilation du narrateur par l'auteur apporte à celui-ci une liberté infinie puisqu'il peut être tout à la fois fiction et réalité, passé, présent et futur, créateur et créé, il peut être son œuvre et réciproquement [33]. En particulier, cette liberté permet à l'esprit de se détacher du corps pour l'observer, à la fois du dedans et du dehors. Nous allons le voir, le corps occupe une place prépondérante dans l'œuvre de Dominique Rolin. Il est tellement présent que l'écriture rolinienne nous apparaît elle-même comme une expression de ce corps. Qu'elle est elle-même ce corps, gorgé de mots.

    -- page break --

    II. 2.L'écriture organique

     

     

    Parmi les passages choisis pour étayer notre étude, nombreux sont ceux dans lesquels les précisions physiologiques et les descriptions des corps humains sont présentes. Le corps (qui, rappelons-le, a été le titre d'un roman de l'auteur en 1969) tient une très grande place dans l'œuvre de Dominique Rolin. Il y est si présent qu'il peut même être l'axe sur lequel le plan d'un roman va s'articuler, comme L'Infini chez soi où chaque chapitre est consacré à un organe : les descriptions faites le seront par l'intermédiaire de l'organe du chapitre en question.

     

    « HIVER

    Sept heures, les yeux

    Huit heures, le nez

    Neuf heures, la bouche

    PRINTEMPS

    Dix heures, les oreilles

    Onze heures, la cervelle

    Douze heures, le cœur

    ÉTÉ

    Treize heures, les poumons

    Quatorze heures, l'estomac

    Quinze heures, le foie

    AUTOMNE

    Seize heures, l'intestin

    Dix-sept heures, les reins

    Dix-huit heures, le sexe »

    On remarquera dans cette succession de chapitres, une sorte d'enchaînement de réveils successifs des organes. La journée commence par l'ouverture des yeux, puis c'est le nez qui respire avant la bouche qui s'ouvre pour bailler... À 14h00 l'estomac commence à crier famine !

     

    Dans la partie précédente nous avons souligné le caractère duel de l'œuvre de Dominique Rolin. Notamment la capacité de liberté que se donne l'auteur par l'assimilation de son narrateur. Elle lui permet d'explorer toutes les combinaisons possibles entre fiction et réalité. Cette dualité est omniprésente dans l'œuvre et concerne aussi le corps et l'esprit. Dans La Voyageuse, le corps semble indissociable de la réflexion psychologique de la narratrice. Après la mort de celle-ci, son esprit se détache du corps et observe ce dernier du « dehors », flottant librement. C'est une vision assez classique de la vie après la mort qui est loin d'être propre à l'auteur, et que l'on retrouve aussi bien dans la littérature que dans les témoignages de personnes ayant vécu une mort clinique. Pourtant, et cela est plus rare, l'esprit de la narratrice défunte finit par acquérir, au fil de la lecture, une enveloppe charnelle, un corps ‘d'après-vie' qui lui permet d'agir à nouveau sur son destin.

     

    « Je ne me tairai pas. Vive le pouvoir ! Ça parle, ça parle, voyez-vous, une âme, par tous les pores de son étrange et translucide épiderme. » [34]

     

    Cette vision peut apparaître, sous un regard chrétien, comme en résonance avec la Transfiguration du Christ dans les Écritures.

     

    « Or, environ huit jours après cet entretien, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour y prier. Et pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d'une blancheur fulgurante. » [35]

     

    Mais là où les disciples avaient du mal à décrire le ‘nouveau visage' (éclairé par la lumière divine) du Christ Transfiguré, Dominique Rolin, elle, donne des détails précis sur la structure corporelle de l'âme de la défunte.

     

    « La chair de mon imagination vaut bien l'autre. Je mis presque un siècle à savoir ça. J'adorais ma chair pensée... » [36]

     

    Ainsi, même l'âme, chez Dominique Rolin, possède un corps physique, sensible, qui l'enveloppe d'une peau composée de pores, d'épiderme, un corps différent du corps humain certes, mais un corps palpable. Il ne s'agit pas ici d'une image mais d'une réelle ‘consistance' de l'âme, telle que la voit l'auteur, telle qu'il la décrit. L'esprit, lui aussi, possède un corps. Il prend chair, la pensée se fait ‘chair'.

     

    En montrant l'assimilation de son narrateur, nous avons vu à quel point l'auteur pouvait s'impliquer dans son œuvre, dans son écriture. Il fait corps avec elle. Nous montrerons que l'on peut voir chez Dominique Rolin une écriture qui va au-delà de la transcription de la pensée, une écriture qui, s'attardant sur le corps et ses organes, permet de les comprendre, et au travers des chairs, de mieux connaître l'esprit et la nature de l'homme. De plus, l'écriture elle-même étant produite par les organes de l'écrivain, elle est en toute rigueur l'œuvre revendiquée de ses organes.

     

    « Alors mes organes recommencent à penser, à écrire. » [37]

     

    Nous commencerons par relever de très nombreux passages consacrés à des descriptions physiques, voire physiologiques. Cette écriture, précise, aiguë, tranchante comme certaines dissections anatomiques, justifie le terme sous lequel nous avons choisi de la caractériser : l'écriture organique.

     

    Après avoir explicité cette écriture organique, spécificité rolinienne, nous essaierons de cerner les motivations qui peuvent pousser l'auteur à accorder autant de place et de soin à la description des corps humains et de leurs organes. Tenant parfois presque de l'obsession, nous montrerons en quoi l'écriture organique nous semble être utilisée par l'auteur comme un médium très efficace pour atteindre le cœur de la vérité, de sa vérité.

     

     

    II. 2. 1. L'écriture organique : l'expression du corps.

     

     

    La préoccupation pour le corps humain est une constante dans l'œuvre. Déjà dans la toute première nouvelle publiée de l'auteur, Repas de famille, nous pouvions remarquer l'importance de la place occupée par les descriptions physiques. Dès les premières pages nous trouvions des passages comme ceux-ci :

     

    « ... elle ne se sentait plus une jeune fille douée d'un corps et de membres articulés » [38]

    L'héroïne est présentée par le narrateur comme pouvant être désincarnée et pouvant vivre en dehors de son enveloppe charnelle.

    « Le noyau de pensée qu'elle était devenue se mit à sourire (et non sa bouche car elle n'en avait plus)... » [39]

    Suite logique de sa désincarnation : son sourire ne ressemble plus à un sourire humain puisque n'ayant effectivement plus de corps elle ne peut plus avoir de bouche. Le narrateur le précise bien, de sorte que le lecteur ne puisse pas passer à côté de la subtilité du sourire du ‘noyau de pensée'. Non pas que l'auteur imagine le lecteur incapable de comprendre la subtilité, mais plutôt parce qu'il ne veut pas laisser de place à l'interprétation de ce dernier.

    « Virginie se recoiffa devant un long miroir du hall, repoudra son visage rougi de froid » [40]

    « Elle lissa sur ses hanches la soie verte de sa robe, remonta sa ceinture et tendit à nouveau l'oreille. » [41]

    « ... dans la salle à manger, immuable sur son socle, et dont l'épaule gauche se creusait à chaque coup, de balafres plus profondes. » [42]

    « Virginie vit avec horreur toutes les figures indignes se tourner vers elle et cela dans un tel silence qu'elle entendit des têtes osciller avec un bruit de muscles sur le cou immobile. » [43]

    « Pourquoi Virginie est-elle en retard ? mâcha le grand-père, et son visage se rida, se fronça, se crispa comme le masque congolais en terre cuite pendu au mur de son bureau. » [44]

    « Le fiancé d'Éva fixa Virginie avec d'énormes prunelles dilatées. » [45]

    « ... dans une cuisine vide et soulevait, sur le vieux front de la grand-mère incrédule, une mèche de cheveux gris. » [46]

    L'échantillonnage que nous venons de donner nous montre à quel point non seulement les descriptions physiques sont abondantes mais surtout la manière dont le corps y est abordé. Le regard du narrateur semble se porter essentiellement sur les visages des personnages composant le récit. Ces visages sont chaque fois décrits de manière très sommaire et très directe, s'attachant rarement à plus d'une caractéristique. Le visage de Virginie est « rougi », celui du grand-père est « ridé », le fiancé d'Éva a les prunelles « dilatées » et la grand-mère de Virginie un « vieux front » avec une « mèche de cheveux gris ». De ces exemples tirés des trois premières pages de la nouvelle, se dégage un large champ lexical consacré au corps : « corps », « membres articulés », « bouche », « visage rougi », « hanches », « oreille », « épaule gauche », « balafres », « figures », « têtes », « muscles », « cou », « rida », « fronça », « prunelles dilatées », « vieux front », « cheveux gris ». Malgré l'abondance terminologique consacrée au corps, s'agissant de l'incipit de la nouvelle, nous pourrions attribuer ces nombreuses descriptions à une mise en situation, le narrateur fournissant au lecteur des éléments descriptifs succincts afin de lui donner quelques repères visuels essentiels. Pourtant, l'argument de la mise en situation ne peut à lui seul justifier le grand nombre de descriptions de ce type qui sont présentes du début à la fin de la nouvelle.

     

    « Toute la figure de Noëlle se plissa de rire et ses yeux ne furent que deux lignes brillantes. » [47]

    « L'ombre dévasta le visage d'Éva, un visage indéchiffrable, creux comme un masque » [48]

    Le visage est l'objet d'une fascination, il est, par deux fois, associé à un masque. Le masque cache la vérité, le masque intrigue, et si le visage est un masque, alors c'est derrière le visage, dans la tête, que se trouve la vérité.

     

    « C'était un quelqu'un tout bleu avec des quantités d'yeux sur le corps. » [49]

    « Virginie est sage, disait la religieuse en remuant sa tête d'oiseau noir sans presque écarter ses lèvres foncées. » [50]

    Le narrateur ne dépeint, ne caractérise, les visages que par une seule particularité physique, propre à chacun d'eux. Ce sont les « lèvres foncées », « creux comme un masque », « deux yeux perçants et globuleux », « le front pur et lisse », etc.

    « Virginie serrait ses mains et tâchait de revenir à elle ; mais il y avait maintenant deux yeux qui la fixaient : deux yeux incolores et luisants comme deux phares, à cause de leurs paupières sans cesse levées, baissées ; deux yeux perçants et globuleux qui se rapprochaient en louchant. » [51]

    « Il avait le front pur et lisse des êtres faux. » [52]

    Le visage, mais aussi le reste du corps, est une préoccupation constante pour le narrateur. Il est, par exemple, un moyen de déterminer d'emblée le caractère d'un individu. Le narrateur pratique la ‘physiognomonie' (chère à Balzac qui en était adepte et dont il s'est de nombreuses fois servi dans La Comédie humaine) : un « front pur et lisse » révèle un être faux. C'est dire à quel point, pour le narrateur, le corps signifie. Il est la clef de chaque individu. À chacune des pages de cette nouvelle nous rencontrons au moins une description physique des personnages. Ce sont ces descriptions qui leur donnent ‘corps', les visages reflètent les pensées, ou les justifient. Bien que le narrateur s'attarde plus particulièrement sur les têtes, cela n'est pas exclusif. Le reste du corps ‘parle' lui aussi, comme le montre l'exemple des mains de Manuel ou encore celles de la mère de Virginie :

    « Les mains de Manuel s'imposaient de nouveau, despotiques, osseuses et couleur anémone. » [53]

    « La maman de Virginie pencha le buste en avant et croisa ses deux mains désespérées ». [54]



    [1] Nous pensons notamment à des réalisateurs tels que Woody Allen.

     

    [2] V. Le Pacte autobiographique de Philippe LEJEUNE

     

    [3] V. Deux, p. 45

     

    [4] VILAIN, Philippe.- Le Sexe et la mort dans l'œuvre d'Annie Ernaux.- Thèse de doctorat de l'université Paris III, soutenue le 29/01/2001 sous la direction de M. le Professeur Marc DAMBRE.- 336 p.

     

    [5] ibid, p. 107

     

    [6] ibid, p. 110

     

    [7] ERNAUX, Annie.- Les Armoires vides.- Paris : Gallimard, 1984.- 192 p.

     

    [8] RICHARD, Jean-Pierre.- Littérature et sensation, Stendhal / Flaubert.- Seuil, coll. Points : Paris, 1990.- 321 p.

     

    [9] V. Journal amoureux, p. 45

     

    [10] ibid.

     

    [11] V. entretien avec l'auteur du 25/10/1997

     

    [12] V. plus haut dans l'étude

     

    [13] ROLIN, Dominique.- Comment devient-on romancier in Le Bonheur en projet.- Bruxelles : Labor, 1993.- 189 p.

     

    [14] Esther et Jean Rolin avaient très mal vécu la publication de cet ouvrage dans lequel leur propre enfant décrivait de manière cruelle leur vie de couple.

     

    [15] V. La Voyageuse, p. 30

     

    [16] V. Les Éclairs, p. 44

     

    [17] V. La Rénovation, p. 74

     

    [18] Les Éclairs, p. 59

     

    [19] Il nous semble nécessaire de multiplier les exemples pour montrer à quel point cette ‘assimilation' est importante dans l'écriture rolinienne.

     

    [20] La Rénovation, p. 94

     

    [21] ibid. p. 28

     

    [22] V. p. 66

     

    [23] ibid.

     

    [24] En fait, il s'agit de l'explication qu'elle veut bien nous donner... Il s'agit toujours d'informations romanesques.

     

    [25] V. Le For intérieur, p. 27

     

    [26] V. Les Éclairs, p. 70 Il s'agit là de l'annonce de sa ‘trilogie' : L'Infini chez soi, Le Gâteau des morts et La Voyageuse.

     

    [27] ibid. p. 65

     

    [28] Deux, p. 76

     

    [29] V. L'Infini chez soi, p. 216

     

    [30] Vingt chambres d'hôtel, p. 54

     

    [31] Le Lit, p. 142

     

    [32] La Rénovation, p. 74

     

    [33] À ce titre nous ne manquerons pas de lire Message personnel, lettre ouverte de l'auteur dans laquelle est dévoilé son rapport à l'écriture. V. Le Bonheur en projet, p. 141.

     

    [34] V. La Voyageuse, p. 139

     

    [35] V. L'Évangile selon Saint Luc, IX, 28.

     

    [36] V. La Voyageuse, p. 174

     

    [37] V. L'Infini chez soi, p. 181

     

    [38] V. Repas de famille, in Les Géraniums, p. 475

     

    [39] ibid.

     

    [40] ibid, p. 476

     

    [41] ibid.

     

    [42] ibid. p. 477

     

    [43] ibid.

     

    [44] ibid., p. 478

     

    [45] ibid.

     

    [46] ibid., p. 479

     

    [47] ibid., p. 480

     

    [48] ibid., p. 487

     

    [49] ibid., p. 488

     

    [50] ibid., p. 490

     

    [51] ibid. p. 491


    [52] ibid.


    [53] idid. p. 495

     

    [54] ibid. p. 484

     



    votre commentaire
  • Ces mains sont ici dotées de sentiments, elles sont dites « désespérées ». En fait, elles ne devraient être présentées que comme le simple reflet des pensées de la mère de Virginie. L'auteur aurait pu écrire ‘...et ses deux mains croisées traduisaient son désespoir'. Mais en qualifiant ces mains et en les anthropomorphisant, il gagne en densité et en efficacité émotionnelle. En quelques mots il cible en évitant de s'encombrer avec la description éventuelle de tous les gestes.

     

    La tristesse et le mal de vivre de Virginie sont eux aussi révélés, exprimés par son corps :

     

    « Virginie sentait son corps traversé de longs fleuves de haine et d'injustice qui la laissaient endolorie, exaspérée et brisée comme un chat tombé du quatrième étage. » [1]

    C'est la deuxième fois que Virginie Ramier est comparée à un chat. La première fois étant la première phrase de la nouvelle : « Virginie Ramier fit un bond de chat à qui l'on tranche les pattes. » [2] Le paradoxe d'une telle image a de quoi interloquer le lecteur qui découvre le récit. Comment un chat à qui l'on tranche les pattes peut-il faire un bond ? Non seulement l'auteur aime à comparer les êtres humains aux animaux (un moyen sans doute d'insister et de revendiquer le caractère animal de l'homme, c'est-à-dire son côté instinctif qui le pousse à survivre) mais il aime aussi interpeller son lecteur, utilisant paradoxes et décalages pour le pousser à réfléchir sur sa propre condition.

     

    Comme dans Repas de famille, la nouvelle La Jeune fille qui attendait [3], est elle aussi marquée par l'abondance des références au corps.

    « Il y avait d'abord Catherine qui, sous la lampe, était moyenâgeuse, avec de l'or sur son front étroit. [...] Il y avait aussi les mains de Catherine, des mains blondes appuyant leur paume tiède sur la douceur des tissus. » [4]

    « Deux petits coups, auxquels répondirent les battements du cœur de Catherine. Les jambes molles, elle appuya son corps à la porte, et de toute la force de ses bras tendus, elle l'attira vers elle... » [5]

    Si l'on regarde attentivement ce dernier passage, nous pouvons remarquer, encore une fois, l'attention toute particulière portée au corps et ses ‘applications' c'est-à-dire la manière dont le personnage utilise son corps. Dans la dernière citation ce sont les « battements du cœur » qui répondent ; l'image employée est révélatrice : le corps semble être autonome, détaché de la personne : ce n'est pas Catherine qui sursaute lorsque l'on frappe la porte, ce n'est pas elle qui a peur mais son cœur qui ‘répond', ses jambes qui sont molles, son corps qu'elle appuie à la porte. De même, lorsque l'on décrit un individu tirant violemment sur une porte, on emploie généralement l'expression ‘tirer de toute sa force', laissant entendre au lecteur qu'il s'agit de tirer sur une porte avec ses bras. Dominique Rolin précise qu'il s'agit de la force de « ses bras tendus » qui attire la porte et non de la simple force de Catherine. Quelques lignes plus loin le regard du narrateur se fixe, de manière presque obsessionnelle (comme s'il ne pouvait jamais s'empêcher de détailler sans cesse les corps, comme s'il était atteint de voyeurisme), sur l'aspect corporel des personnages :

     

    « Elle avait la taille ronde et la poitrine bombée sous la soie tendue du corsage, et ses bras tout nus, beaux comme de l'eau claire, se montraient dodus jusqu'à l'épaule.

    Elle pencha un peu la tête et Catherine vit son cou dont la ligne s'incurvait tendrement sous la plume blanche de son chapeau. Elle regardait Catherine avec le sourire retenu de ses fossettes. [...] Sa voix était un peu grasse comme toute la rondeur charmante de sa personne.

    ‑ Qui êtes vous, madame ? demanda Catherine, les mains étroitement crispées au bord de la table. » [6]

     

    On ressent une sorte de passion pour la plastique (dans le sens 'formes corporelles‘) : préoccupation constante. La description physique se fait toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs organes. Elle n'est jamais une ‘vue d'ensemble' d'un personnage, la silhouette ne suffit pas. La vision est toujours fragmentée. L'auteur s'attache à décrire un particularisme : les mains, le cou, les yeux, la bouche, la poitrine, etc. Les uns après les autres, les organes vont peu à peu s'imposer, s'organiser pour donner vie aux personnages. Bien souvent un seul organe permet à l'auteur de décrire un personnage. L'organe illustre alors non seulement le reste de son enveloppe charnelle mais aussi son état d'esprit.

     

    « ‑ Qu'importe, ma petite enfant ; je suis venue te chercher : ton corps est triste, et tes yeux sont beaucoup trop clairs. Ils ont la couleur de la vitre auprès de laquelle tu brodes la journée entière. Viens, Catherine. » [7]

     

    La partie contient le tout. On pourrait presque parler ici de vue ‘holographique'. En fait, Dominique Rolin donne au lecteur l'information nécessaire et suffisante là où il en est de sa lecture, mais ne lui fournit pas d'information superflue. Il en va pour les mains et les yeux de Catherine comme pour les lèvres foncées et la tête d'oiseau de la religieuse. [8]

     

    Le premier roman de Dominique Rolin dévoile déjà une sensibilité particulière du regard que nous retrouverons tout au long de l'œuvre, témoin cette description de la petite Barbe et celle de son père, M. Tord :

     

    « Elle avait cinq ans, mais elle était menue pour son âge et parfaite comme une poupée admirablement fignolée. Ses cheveux étaient serrés, lustrés comme le plumage d'un oiseau noir. [9] Son visage était une aurore perpétuelle. Mais ses yeux étaient si obscurément concentrés sur un rêve intérieur qu'ils faisaient peur, comme s'ils appartenaient à un monde ignoré. » [10]

     

    « M. Tord avait sur son visage, une expression pateline et ses lèvres épaisses se gonflaient comme pour sourire. » [11]

    Alban, le grand frère, dont le « front s'était ratatiné soudain et un pli bizarre tiraillait sa bouche » [12], le beau-frère, Bran, lui aussi dépeint par le narrateur :

     

    « ... son visage avait gardé une certaine mollesse de contours propre à l'enfance, mais la peau était fripée au front et aux yeux. » [13]

    Chaque personnage décrit dans Les Marais est soumis au moins une fois à l'œil perçant soit du narrateur soit du héros Alban. La fréquence des observations physiques y est la même que dans les nouvelles de jeunesse. Pourtant, ce premier roman marque une évolution en ce qui concerne la perception du corps humain par l'auteur. Il commence à ‘voir' et à décrire les corps essentiellement dans leur aspect mécanique. Jusqu'alors Dominique Rolin se contentait de donner des précisions physiques sur l'enveloppe corporelle, reflet de l'état d'esprit des êtres humains (comme nous l'avons vu dans les deux passages cités précédemment). Maintenant une sorte de ‘rapport à la chair' elle-même s'instaure.

     

    « Il avait posé sa main sur le corps des arbres et avait pensé : ‘ voici leur chair. Elle est dure, immobile, et pourtant son irrésistible montée est la marque d'une vraie chair vivante. La sève s'est mêlée à elle et lui confère la puissance du mouvement ascensionnel. D'un jet, le sang est monté jusqu'au sommet là où les branches fusent en tous sens et projettent leurs périssables merveilles. L'arbre est porteur du germe de la vie et de la fécondité.'

    Parmi les invités, Alban remarqua une jeune fille qui le regardait ardemment. N'était-ce pas plutôt la mort de cette jeune fille qui le regardait ? De toute l'assistance des jeunes, c'était la seule dont la mort fut apparente. On eût dit qu'elle cherchait déjà à se substituer au corps. » [14]

    Au-delà du rapport établi, entre la sève qui monte dans les arbres et la jeune fille qui le regarde « ardemment », nous pouvons noter ici deux points : d'une part c'est la première fois que l'auteur évoque le détachement du corps et de l'âme (cette préoccupation qui se dévoile ici, nous la retrouverons tout au long de l'œuvre jusqu'à son point culminant, quarante ans plus tard, avec La Voyageuse, ouvrage largement consacré aux relations de l'âme et du corps) ; d'autre part, (et c'est ce point qui retiendra plus particulièrement notre attention) ce passage est le premier véritablement révélateur de ce que nous appellerons l'écriture organique. Cet adjectif s'applique à : // ce qui est relatif aux organes du corps // ce qui provient des tissus vivants // se dit de ce qui concerne la constitution d'un être // se dit d'un ensemble qui fait un tout.

     

    « C'était une femme au visage pâle et bouffi. Elle se pencha sur le lit, prit les mains de l'enfant, encore tièdes, et les joignit sur la poitrine. Elle écarta les cheveux qui s'étaient collés sur le front et rabaissa les paupières. Elle versa de l'eau dans une cuvette, mouilla un linge et lava le visage ; puis, elle noua dans les cheveux un ruban de satin blanc. Elle allait et venait, rapide comme une chatte en quête de viande et dont l'odorat est particulièrement développé. » [15]

    L'auteur nous donne ici des informations propres aux organes eux-mêmes et non pas au corps en tant qu'ensemble. Il précise que les mains de Barbe sont « encore tièdes » et que ses cheveux sont « collés sur son front ». Nous bénéficions d'une observation aiguisée, scrupuleuse à noter les détails essentiels : le reste de chaleur corporelle de la petite Barbe, les cheveux collés au front et le rapport suggéré entre la nonne, « chatte en quête de viande » et Barbe, corps inanimé, objet de toute son activité.

     

    Dominique Rolin s'oriente vers une vision biologiste et objective du corps humain. À son sujet, elle évoque la « viande ». EIle l'envisage comme un ensemble de « tissus vivants ». Dominique Rolin, dont le dessin était le premier métier, avait elle-même illustré Les Marais (édition de luxe). Réalisés avec des mines de plomb très fines et très pointues (comme elle le dit elle-même « tendre pour la chaleur et les teintes, sèche pour le trait ») on note, en regardant ses dessins, le même désir de précision. La représentation des personnages, la nonne et la petite Barbe morte [16], est tout aussi précise que le texte. On y voit les cheveux de la petite collés sur son front (ils sont si finement représentés qu'on peut les compter). La compassion supposée de la nonne est aussi rendue par la finesse du trait et l'expression attristée du visage. Dans Les Marais les dessins de Dominique Rolin viennent souligner les descriptions textuelles. L'auteur n'utilise que des teintes très douces, presque effacées, afin de privilégier le trait et sa netteté, moyen de représentation identique à l'écriture. Quel que soit le médium utilisé, le regard de l'auteur est toujours le même. Il se fixe sur les détails les plus significatifs de l'aspect physique de ses personnages.

     

    « J'ouvre mon sac et j'en retire un miroir. Le blanc de mes yeux est strié de veinules rouges, ce qui me donne un air à la fois féroce et las. Ma lèvre supérieure est fendue et saigne » [17]

    La précision de la description du blanc des yeux d'Anne (Anne la bien-aimée) relève d'une observation presque clinique. Il n'est pas simplement dit que ses yeux sont rouges mais que le blanc de ses yeux est strié de veinules rouges, ce qui est rigoureusement exact comme chacun peut le constater soi-même devant un miroir lorsque ses yeux sont irrités.

     

    Dominique Rolin a choisi de ne pas s'encombrer de la vision conventionnelle du corps, imposée par la pudeur de la culture occidentale. Ainsi, dès ses premiers écrits, l'auteur affirme son indépendance vis a vis du ‘bon ton'. Les descriptions sont précises dans un souci d'efficacité, il n'y a pas de détours, le regard est froid et comparable à celui d'un chirurgien ou d'un mécanicien, dénué de tout sentiment.

     

    « ...son nez était retroussé et plat comme un groin, et chaque fois qu'il riait, il fermait ses yeux minuscules voilés de cils blancs. Sa ressemblance avec un porc me surprenait si fort... » [18]

     

    Le corps humain est souvent comparé à celui d'animaux comme le montre l'exemple précédent. Le chat est l'animal le plus souvent mis en rapport avec l'homme [19] mais il y a aussi l'oiseau, le porc... Par ces évocations, l'auteur fait ressortir un aspect physiologique particulier du corps humain qui semble s'imposer d'instinct. Nous retrouvons ces comparaisons tout au long de l'œuvre, comme par exemple dans le Souffle :

     

    « Elle était prête à les lui donner, ces choses, car elle était une belle femme-vache comme il n'en existe pas deux au monde. » [20]

    Non seulement le décalage provoqué par la comparaison entre la beauté féminine et une vache est surprenant, mais on est bien obligé d'apprécier la pertinence du choix de ce mot, « femme-vache » s'il s'agit de montrer au lecteur une femme épanouie, aux formes pleines et structurées, prête à offrir avec générosité ce que son corps produit de mieux et d'indispensable à la vie. C'est l'alma mater, c'est-à-dire la mère nourricière (c'est aussi ainsi que les poètes latins désignaient la patrie), revue et corrigée (avec sarcasme) par Dominique Rolin. La pudeur de bon aloi qui baigne généralement ce qui a trait à l'intimité corporelle semble ici s'évanouir. Que ce soit par la précision ‘chirurgicale' ou par la comparaison à des animaux, l'auteur écarte toute subjectivité conventionnelle liée à l'appréhension du corps. Par exemple, on s'accorde généralement à dire d'un nouveau-né qu'il est beau, mignon, on lui trouve des ressemblances avec tel ou tel parent. L'auteur, lui, rejette cette délicatesse. Ainsi, Anne, en voyant le bébé à peine né de son amie Agnès Loo le qualifie en disant :

     

    « ...affreux à voir, avec une tête énorme branlant sur de frêles épaules. » [21]

    Les personnages roliniens sont montrés dans leur physiologie. Les Deux sœurs [22] est lui aussi riche en exemples qui confirment l'attachement de l'auteur à la fragmentation détaillée du corps de ses personnages :

     

    « ... elle ne faisait pas songer à une enfant, mais à une créature engendrée par le feu. Sous les cheveux noirs, le front apparaissait, pâle et dur comme un os mis à nu, et les yeux obscurs abritaient une lueur incandescente. Seule la bouche révélait l'enfance. C'était une petite bouche, ronde, humide, mobile, toute gonflée de rire et de paroles. » [23]

    Le visage est montré par fragments, les cheveux, le front, les yeux, la bouche. Il n'y a pas de corrélation entre les différents organes, ils ne sont pas mis en rapport mais décrits individuellement. Chaque fragment est alors figé, comme s'il était saisi par un instantané photographique. C'est la juxtaposition de l'ensemble de ces éléments qui forme le visage. Il n'y a jamais de vision globale du corps mais des organes saisis par l'auteur, comme le front, le cou, les mains, qui vont être étudiés chacun en particulier et montrés successivement.

     

    Organique // se dit d'un ensemble qui est inhérent à la structure, à la constitution de quelque chose. // Dominique Rolin semble observer chaque élément de cet ensemble pour aborder et mieux comprendre sa constitution...

     

    « ... je crus le voir se dresser devant moi, avec sa silhouette à la fois robuste et gracile, avec ses mains rouges d'adolescent, et ses cheveux roux, touffus et bouclés [...] Son visage était merveilleusement beau, d'une pâleur mate, [...] Ses traits s'étaient formés durant les derniers mois, sa bouche était devenue têtue et sensuelle. Ses yeux, d'un azur violacé, meurtris de cernes bistres, étaient prolongés par de longs cils d'or qui donnaient à son regard une douceur d'ange [...] le bleu de ses prunelles se décomposait, et la pupille devenait cruelle. » [24]

     

    Ce passage illustre le sens que nous donnons au terme ‘organique'. « L'ensemble » est composé de la silhouette, des mains, des cheveux, du visage, des traits, de la bouche, des yeux, des cils, des prunelles et des pupilles. Le « tout » étant le corps de l'adolescent scrupuleusement observé. L'auteur donne du sens aux organes, ils sont doués d'émotion : une bouche est dite « têtue » et des pupilles « cruelles. »

     

    Parfois, « l'ensemble » n'est qu'un seul, voire deux, organes, juste un « tissu vivant » qui va constituer le « tout » car le regard porté sur le corps se fera sur une seule de ses parties. Mais elle sera déterminante et révélatrice de tout le reste.

     

    « Les doigts de Riquet en sortent, terriblement propres, ses ongles sont nacrés, finement, cruellement taillés. Les mains lavées saisissent une serviette pendue au mur et commencent à s'essuyer l'une l'autre. [...]. À cause de ses mains si propres, si roses, il paraît plus grand encore, et Yo s'aperçoit avec horreur qu'il n'y a plus la moindre barrière entre elle et lui. La boue, sur les mains de l'homme, c'était ça qui la protégeait, c'était ça qui le rendait bon, maintenant que me veut-il ? Pourquoi s'approche-t-il à mesure que je recule et qu'est-ce que ce sale sourire tordu vient faire sur ses lèvres ? [...] un côté de son visage pend un peu, tandis que l'autre remonte tout gai, sauf l'œil par exemple : l'œil est devenu vaste, d'une fixité vorace. Qu'est-ce qu'il veut bouffer, son œil ? » [25]

    Les mains de Riquet trahissent ses intentions. Lorsqu'elles sont boueuses, ce sont les mains d'un honnête travailleur dont l'activité ne concerne pas Yo. Lorsqu'il abandonne son travail, lave ses mains avant de s'avancer vers Yo, celle-ci devient très précisément concernée par les pensées de Riquet. Alors que le sens commun associe propreté et pureté, Dominique Rolin ici prend son lecteur à contre-pied, oserons-nous dire, en nous montrant l'imminente menace pour Yo que représentent les mains propres de Riquet. Contre-pieds, décalages, paradoxes, l'auteur semble toujours vouloir surprendre son lecteur.

     

    « Elle croise haut les jambes en faisant crisser la soie de ses bas, fume avec un grâce banale, parfaite, cessant ainsi d'être une femme pour devenir un symbole à belle poitrine, beau sexe caché, bouche, ventre, parfums, caresses... » [26]

    Ici, c'est l'individu qui semble disparaître au profit de ses organes. Ils prennent le dessus, ils absorbent l'ensemble de la personnalité. La femme n'est plus décrite que par sa décomposition en organes majeurs. C'est cette analyse qui la reconstitue.

     

    « ...il n'était plus qu'une bouche prenant mes forces et plongeant en moi les racines d'un désir... » [27]

     

    Les corps sont fragmentés, cela permet de mieux les montrer. L'auteur décrit les organes comme s'il les dessinait. Par ailleurs, il n'hésite pas à expliquer lui-même, comme nous allons le voir, les mécanismes de sa propre vision illustrés par ce passage :

     

    « Chacune aura désormais son espace où je m'acharne à représenter minutieusement l'imbrication des têtes. Je froisse les dessins ratés, recommence avec plus d'exigence comme si le fait d'agrandir un seul détail ouvrait le champ à des perspectives surprenantes, inévitables. Et maintenant (inversant les couples) j'ajuste à celle de Stéphanie la bouche d'Arthur. Ces bouches occupent toute la page. La lèvre supérieure de Stéphanie est soulevée en arc-de-cercle : les stries de la muqueuse, les ombres et les blancs faits pour suggérer le relief, l'humidité, tout y est. La lèvre inférieure, proéminente, est absorbée par celle du garçon. Je parviens même à indiquer, à force de patience, la face interne de cette lèvre où l'on devine la langue, la crête d'une dent. » [28]

     

    Il dévoile la caractéristique de son regard : « le fait d'agrandir un seul détail ouvrait le champ à des perspectives surprenantes ». Ainsi, l'organe, la bouche, le cou, ou les mains observés permettent de mieux appréhender, ou d'appréhender différemment un tout dans une perspective de pertinence avec l'action en cause.

     

    Dominique Rolin, tout en continuant à s'intéresser de très près au corps va aller encore plus loin dans sa volonté de décalage et de refus des conventions : refus, rappelons-le, exprimé par des descriptions corporelles complètement dépourvues de pudeur. Les images ou comparaisons animales laisseront alors la place à un langage plus cru, plus direct, à un vocabulaire plus radical. Au fil du temps les descriptions roliniennes se feront de plus en plus précises. À l'exemple de la citation ci-dessus où l'on voit le narrateur préciser la consistance des organes, leur relief, leurs ombres : « lèvre supérieure [...] soulevée en arc-de-cercle », « les stries de la muqueuse, les ombres et les blancs faits pour suggérer le relief »...

     

    « J'essayais alors de fixer du regard ses lèvres restées vivaces, roses, mais qui s'écartaient avec trop de lenteur sur les dents un peu jaunies, les gencives pâles. » [29]

    « ... elle entrouvre un peu les jambes aucune fente visible rien que la peau rose tendue légèrement duvetée. » [30]

    Le regard de l'auteur, très aiguisé, semble ne rater aucun détail physique dans l'observation de chaque individu ; elle se fait toujours de haut en bas, le visage étant la première étape. C'est ce regard qui permet au narrateur de La Maison la forêt de remarquer jusqu'à « la peau rose tendue légèrement duvetée ». C'est ce même regard qui s'applique à la description, ci-dessous, de l'enfant écrasé dans Le For intérieur.

    « Je vois le spectacle avant de le comprendre : un enfant vient d'être écrasé. Il est couché en chien de fusil comme s'il dormait ; ou comme si, dans un accès de mauvaise humeur et pour protester, il tournait le dos résolument au tumulte dont il est le prétexte. le sang sort par sa bouche, son nez, ses oreilles, et s'étale sous lui. Impossible de savoir si c'est une fille ou un garçon : les cheveux sont ras, mais la peau du cou est d'une délicatesse peu commune. Les doigts de la main droite repliés sont tachés d'encre. » [31]

    Le détail de cette description provoque presque un malaise, une gêne chez le lecteur [32]. Il peut alors avoir l'impression de devenir ‘voyeur' en continuant à lire ces précisions si scrupuleusement exposées. Parfois, la gêne ressentie se transforme en véritable sentiment d'horreur. Le lecteur peut alors avoir du mal à supporter certains passages choquants et ouvertement provocateurs.

     

    « La bouche de Mamine s'ouvre et se ferme sept fois, comme un vagin sanglant : elle a mis sept enfants au monde, sept noms fusent d'entre ses lèvres soudain laides à faire peur. Pas ça. Ma-maaan ! Sept rôtis crus, prêts à s'introduire dans le four de la vie, dans ce crématoire lent, fou, inépuisable, qui nous absorbe indistinctement. » [33]

     

    Il y a ici la vision organique du corps, envisagé dans son aspect le plus biologique (l'auteur ne décrit pas l'activité de ‘Mamine', énumérer les prénoms de ses enfants, mais l'activité de son corps, sa bouche qui s'ouvre et qui se ferme). Nous pouvons aussi noter ce ‘rapport à la chair' toujours présent, le corps est un morceau de viande. Les nouveau-nés ne sont ni plus ni moins que des ‘rôtis crus', de la viande prédestinée à la destruction dans les flammes. Le corps est désacralisé, il n'est qu'une machine, considéré au même titre qu'un moteur de voiture, fait pour fonctionner et s'user lentement jusqu'à sa rupture.

     

    « Ils accouchent d'eux-mêmes sans pour autant couper le cordon ombilical. Ils remuent hors du vagin double qui spasmodiquement essaie de les ravaler. » [34]

     

    Le corps est décrit, détaillé, observé : il est le moyen utilisé par l'auteur pour étayer sa réflexion. Lorsqu'il s'agit de montrer au lecteur qu'un personnage est en train de se découvrir lui-même, Dominique Rolin utilisera une image, et cette image sera presque toujours celle de l'accouchement.

     

    « Tous attendaient avec fébrilité qu'Auguste Yquelon accouchât de la jeune mort, blottie en lui. » [35]

     

    « La mort est une femme enceinte au neuvième mois. » [36]

     

    Non pas l'image poétique d'un accouchement comme l'on fait accoucher les esprits, mais l'image ‘photographique' d'un réel accouchement, à l'image du « cordon ombilical » et des spasmes vaginaux. Nous pouvons penser que si l'auteur s'attache tant aux descriptions des organes et à l'activité physiologique du corps, s'il se sert tant du corps pour imager ses réflexions, c'est que ce corps semble être le moyen pour lui d'atteindre l'esprit. Un peu comme si le corps lui était la clef nécessaire pour entrer dans l'âme de chacun. Ainsi, l'étude du corps et l'écriture organique apparaissent comme de véritables outils conçus et affûtés par l'auteur pour mieux accéder à l'esprit et peut-être, tenter d'y trouver une vérité. Sa démarche est cependant différente de celle d'un naturaliste qui décrirait les organes qu'il dissèque dans une stricte rigueur d'observation. Dominique Rolin conduit sa dissection en toute subjectivité pour chercher, imaginer et tenter de trouver la vérité qui s'exprime à travers les organes.

     

     

    II. 2. 2. L'écriture organique : médium d'une quête.

     

     

    Considérant l'écriture organique, nous avons constaté qu'il y avait chez l'auteur une volonté constante de ‘rendre compte' de la manière la plus précise, même lorsque son regard croise des choses qui sont, ou qui lui semblent, insoutenables (l'accouchement par exemple est toujours décrit par l'auteur comme une atrocité). Les descriptions crues, réalistes et souvent choquantes ne seraient-elles destinées qu'à heurter le lecteur ? Ces offenses aux bonnes manières seraient-elles juste le moyen de retenir l'attention de son lecteur, seraient-elles un simple artifice propre à échafauder un style original ? Il n'y a pas de doute possible quant à la question posée : oui, ce vocabulaire et ces descriptions choquantes sont un effet de style, oui cela sert à retenir l'attention du lecteur. Pourtant, ces écorchures qui lui sont faites nous semblent avoir une dimension supplémentaire, et pour tout dire, décisive.

     

    Si l'on admet que la matière (au sens // substance qui constitue les corps //) est objective, celle-ci est alors à portée de compréhension. La pensée, elle, a tendance à ajouter beaucoup de subjectivité à tout ce qu'elle engrange ou produit. Elle risque donc de générer complexité, complications et incompréhension. L'authenticité de Dominique Rolin ne pouvait se satisfaire d'un tel constat d'impuissance à comprendre le fond. Faisant corps avec son texte, elle construit pour son lecteur le cheminement de sa pensée. Ce chemin doit donc être bien balisé, clair et dégagé de tout faux-semblant. L'auteur nous livre alors sa réflexion, ses sensations en s'appuyant sur la matière sans sensiblerie, à l'état brut, sans fard, de la manière la plus objective qui soit

     

    «Sa bouche, ah ! Sa bouche risque de révéler ce que cache le front, les joues plates : lèvres incarnates, bombées sur les dents. » [37]

    « Une femme qui l'électrise et qu'il électrise. La mouillure de rigueur a lieu, vite-vite, dans la clandestinité rationnelle d'un lit. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le produit de la mouillure est là. » [38]

     

    Il ne distrait pas l'attention du lecteur, il ne perd pas de temps en descriptions longues et imagées. Il donne les faits ‘comme il les voit' et lorsqu'il désire employer une image, celle-ci est toujours celle d'un organe détaillé dans tout son réalisme : « lèvres incarnates, bombées sur les dents ». Dans La Rénovation, l'auteur donne même corps à ses mots, ce sont eux qui constituent le corps :

     

    Arrière choses encombrantes ! place aux mots. Ceux-ci doivent être traités avec amour et respect car ils sont le sel et le sang de nos corps. Sois excessive, ma chère (me dis-je aussi), à leur égard, ne crains pas de les cracher par les yeux de ton manuscrit... » [39]

     

    Dominique Rolin dira, lors d'une interview donnée le 21 octobre 1995 sur Radio France Culture, que l'un de ses buts est de « mettre les mots au service de ses découvertes » (sic). De ces mots, elle précisera qu'il y a « des moments où ça coule, ça vient, ça sort par les oreilles, le nez, la bouche, par le bout des doigts. » (sic) Les mots sont donc dans le corps, ils en font partie. Tout y est ramené ainsi qu'à l'organe. L'humanité elle-même n'échappe pas à ce souci de condensation lorsque l'auteur va même jusqu'à oser résumer l'homme en un nombril !

     

    « Qu'est-ce que nous sommes, dis-je, sinon des nombrils ? Sans nombril, pas d'espèce. La création, dans la totalité de l'espace et du temps, tourne autour d'un unique Grand Cordon, souverain, vindicatif et religieusement censuré. Nombril : la faute est devenue chair... » [40]

     

    Et si tout est corps pour Dominique Rolin c'est que « les corps ne peuvent pas mentir » (sic). En donnant une consistance corporelle aux mots, en les observant comme de la matière solide à part entière, elle choisit ceux qui lui semblent les plus justes, les plus adéquats afin de rendre son écriture la plus objective, la plus fidèle qui soit à ses sensations, à ses sentiments :

     

    « La haine est un outil perçant dont je me sers pour vous donner du relief, couleur et musique. Au fil du rasoir, j'ai le don d'éliminer ceux d'entre vous qui sonnent faux. Je n'ai aucun scrupule à les saigner à blanc. » [41]

     

    Les mots apparaissent vraiment, dans le passage ci-dessus, comme le marbre qui va servir au sculpteur : c'est avec ce matériau que l'auteur « donne du relief », il doit choisir le bon bloc, celui dont la structure même permettra l'élaboration de la forme idéale.

     

    Nous avons précédemment vu que l'auteur décrit la matérialité de la constitution des corps avec minutie. Il présente ses personnages dans la réalité crue de leur chair et de leur sang (même les mots sont ‘saignés à blanc'), avec des détails soigneusement choisis, sans détours et sans fausse pudeur. Il ne décrira pas le cœur humain comme l'organe qui permet la vie, comme l'endroit où se nichent les sentiments, mais plutôt comme une machine, un moteur.

     

    « Pourtant dès lors que je m'ouvre la poitrine s'amenuisent les possibilités de savoir puisque je meurs. Ouvre alors la poitrine d'Emma, ou de Vé, ou de Piti : tu y trouveras, dans un magma gluant et chaud, un organe détachable qui se gonfle et se vide, se gonfle et se vide. » [42]

    Le cœur n'est donc rien d'autre qu'une pompe : il n'est envisagé que dans sa matérialité crue. Ce passage, qui confirme encore une fois la préoccupation physiologique de l'auteur, nous délivre un indice d'importance : « Dès lors que je m'ouvre la poitrine s'amenuisent les possibilités de savoir ». Ainsi, pour ‘savoir', la narratrice du For intérieur se rend compte qu'elle doit examiner le cœur, pratiquer une autopsie. L'opération clinique devient alors un passage obligé de la connaissance, même si la conséquence en est mortelle.

     

    « Ma tête est vue par moi comme si j'avais le pouvoir de la déposer sur la table. Je la dépouille des peaux et des chairs qui la couvrent jusqu'à la forme d'os. Je la fends au niveau de l'arcade sourcilière. Je sépare. D'un côté j'obtiens une tasse pleine de gelée rosâtre qu'il est convenu de nommer cerveau : (à l'instant où j'écris ces phrases naît quelque part du côté de la nuque, un mouvement qui prouve justement que la pensée n'existe pas autrement qu'à l'état de masse animée de cellules cherchant la fraîcheur) je choisis des instruments affilés pour procéder à la dissection. La masse molle qui ne dépasse pas le volume d'un poing fermé rappelle la forme d'une noix. Jamais je n'ai mangé ce fruit sans supposer qu'il s'agissait d'une cervelle humaine réduite. Je dispose les instruments en croix. J'enfonce. Je décolle les portions jusqu'ici protégées par leur membrane arrosée de sang : méandres et plis, nœuds joignant ici mémoire et futur, liens ténus reliant un quart à l'autre quart ; souterrain macabre d'une ville à quadruple signification ; silences, rats ; maladies qui ne devaient jamais voir le jour. Je commets un crime salutaire : je rends à la vérité ce qui lui appartient. » [43]

    La clef du savoir, pour Dominique Rolin, passe avant tout par la connaissance de l'esprit, de son esprit. Et pour découvrir cet esprit, dans tous ses recoins, l'observation chirurgicale est nécessaire. Ci-dessus, dans ce passage des Éclairs, elle nous détaille sa façon de procéder. Tel un chirurgien, Dominique Rolin décrit chacun de ses gestes pour approfondir son analyse. Elle « dépouille », elle « fend », « sépare », « enfonce », « décolle ». Autant de gestes mécaniques faisant travailler ses organes, autant d'images d'ordre chirurgical pour décrire son introspection. Cette dernière, qui se réalise au travers de l'écriture, influe directement sur l'organisme de l'auteur. L'acte d'écriture fait naître chez lui, « quelque part du côté de la nuque, un mouvement qui prouve justement que la pensée n'existe pas autrement qu'à l'état de masse animée de cellules cherchant la fraîcheur. » L'expression de la pensée n'est alors qu'une réaction chimique dont le processus aboutit à un ensemble de cellules qui cherchent à sortir du cerveau (elles cherchent la fraîcheur, donc l'extérieur). Ces cellules peuvent sortir par la bouche mais surtout par la main annotatrice de l'auteur. L'écriture rolinienne est ainsi le résultat de l'expression de ses propres cellules qui cherchent le « dehors ». On comprend mieux alors chez Dominique Rolin la dualité ‘dehors / dedans'. Celle-ci s'était vu consacrer un ouvrage, Le Corps, tout entier dédié à l'espace corporel [44]. Cela permet aussi de réaliser à quel point, ce que nous avons appelé ‘l'assimilation du narrateur' est une nécessité pour Dominique Rolin, puisque ce narrateur est à la fois, rappelons-le, ‘dehors l'auteur' et ‘dedans l'auteur'.

     

    Chez Dominique Rolin [45], l'écriture organique est non seulement une écriture vouée à la description et à l'expression des corps, mais elle est aussi l'écriture des organes eux-mêmes. Ce sont ses organes qui poussent l'auteur à l'acte romancier.

     

    Il met fin à la dissection de son cerveau en écrivant : « je commets un crime salutaire : je rends à la vérité ce qui lui appartient ». Ainsi, cette opération clinique s'apparenterait à une sorte de recherche désespérée pour trouver la vérité : les descriptions organiques, le langage cru, utilisés par l'auteur ne seraient rien d'autre qu'un moyen d'approfondir la pensée pour atteindre une sorte de réalité objective. Lorsqu'elle écrit « Je rends à la vérité ce qui lui appartient », Dominique Rolin nous laisse supposer que la pensée en tant que telle n'est pas la vérité. Cette vérité ultime, profonde et fondatrice ne saurait donc être ailleurs que dans les cellules qui composent le cerveau.

     

    Quand elle affirme que « les corps ne peuvent pas mentir » elle donne la clef nécessaire pour comprendre sa recherche. Si l'auteur apparaît aussi motivé par l'utilisation intensive de tout ce qui a trait au corps, c'est qu'il ne veut pas être dupe de sa pensée. En se laissant séduire par la surface et l'apparence des choses, il prend le risque de se fourvoyer et d'entraîner son lecteur dans son égarement. Il veut lui livrer la vérité, sa vérité, toute crue. Et pour atteindre cette vérité Dominique Rolin est obligée de chasser les mots et de les manger :

     

    « Prouvons la finesse de nos intuitions en préservant d'humbles bonheurs d'œil, d'oreille, de bouche et de nez [...] Car j'ai toujours faim et prends avec appétit ce qui se présente. » [46]

     

    C'est encore un désir exprimé de manière organique : Dominique Rolin n'utilise pas les mots ni les événements, elle les ‘mange'. Le désir de connaissance, d'apprentissage est obligatoirement ‘physique' : il fait appel aux sens, il y en a ici quatre concernés sur les cinq que possède l'homme. L'acquisition du savoir est vue comme un acte nourricier, au sens littéral du terme ! Il est étonnant de constater l'incroyable présence, tout au long de l'œuvre, des métaphores tournant autour du champ lexical de la nourriture. Un peu comme si elle mangeait les événements et les régurgitait dans ses romans : Dominique Rolin digère sa vie.

     

    Il n'y a pourtant pas que son corps qui pousse Dominique Rolin à écrire. Elle semble, par l'intermédiaire de ses romans, poursuivre un but. Au cours de notre étude nous avons tenté de montrer que l'auteur et sa création sont toujours en mouvement. Ils vivent une sorte de quête. Nous pourrions dire qu'au vu des sujets abordés, il s'agit d'une recherche sur les rapports familiaux et sur l'amour, une recherche sur les rapports du ‘moi' avec le reste du monde. Et pourtant il nous semble que cette quête va au-delà, Dominique Rolin ne se contente pas de dépeindre et d'étudier la psychologie humaine, il semble qu'elle poursuive, voire, qu'elle chasse autre chose : comme si elle ne voulait pas se contenter de comprendre ou de savoir, comme s'il lui fallait encore plus.

     

    « Tout m'est profit. J'ignore le scrupule. » [47]

     

    Ce que nous appelons ‘écriture organique' serait donc le médium utilisé par l'auteur afin d'avoir le regard le plus juste sur les relations familiales, l'amour, le monde qui l'entoure et surtout sur lui-même. D'aucuns peuvent penser que ce regard est gratuitement cruel et il est vrai, à la lecture des quelques passages que nous avons cités, qu'il y a peut-être même une réelle méchanceté chez Dominique Rolin. Car l'écriture organique produit cette sensation de dureté, de voyeurisme outrancier à vouloir absolument montrer ce qui est tabou, à vouloir employer un langage rude et parfois ordurier. Mais cette cruauté de l'expression n'est pas gratuite, l'écriture organique n'est pas juste un effet de style. Ce que nous avons appelé ‘l'écriture organique' a été parfaitement décrit par Jean-Jacques Brochier lors d'une interview sur France Culture :

     

    « La fonction du roman, chez Dominique Rolin, est vraiment quelque chose de chirurgical, on a l'impression qu'elle écrit avec un scalpel, c'est une fonction chirurgicale. Elle n'a pas du tout l'impression d'être quelqu'un de méchant et cruel, elle a juste l'impression de faire son métier et son métier est de découper les gens en tranches et de se découper aussi parce ce qu'elle a ce souci tout à fait honnête. Elle est aussi bien l'objet de sa propre cruauté que sont les personnages de ses romans, tout cela passe avec un couteau extrêmement pointu et on découpe tous les muscles, tous les nerfs, tous les os. Et il ne reste plus à la fin, comme lorsque l'on a mangé un perdreau ou un poulet, s'il était bon, que l'essentiel, non pas la peau et les os, mais juste les os. » [48]



    [1] ibid., p. 485

     

    [2] ibid., p. 475

     

    [3] op. cit.

     

    [4] « La Jeune fille qui attendait », dans Les Géraniums.‑ Paris : La Différence, 1993.‑ p. 375.

     

    [5] ibid., p. 377

     

    [6] ibid., p. 378

     

    [7] ibid.

     

    [8] V. plus haut

     

    [9] À noter que l'auteur évoque souvent les oiseaux pour peindre les têtes ou les visages.

     

    [10] V. Les Marais, p. 10

     

    [11] ibid., p. 16

     

    [12] ibid., p. 27

     

    [13] ibid., p. 40

     

    [14] V. Les Marais, p. 41

     

    [15] ibid., p. 105

     

    [16] V. annexe p. 320

     

    [17] V. Anne la bien-aimée, p. 12

     

    [18] ibid.

     

    [19] V. déjà avec Virginie Ramier dans la première nouvelle de l'auteur.

     

    [20] V. le Souffle, p. 43

     

    [21] ibid., p. 74

     

    [22] Les Deux sœurs.‑ Éditions du Seuil : Paris, 1946.‑ 322 p.

     

    [23] V. Les Deux sœurs, p. 13

     

    [24] V. Moi qui ne suis qu'amour, p. 12

     

    [25] V. Les Quatre coins, p. 185

     

    [26] V. Le Lit, p. 140

     

    [27] ibid., p. 109

     

    [28] V. Le For intérieur, p. 88-89

     

    [29] V. Le Lit., p. 70

     

    [30] V. La Maison la forêt, p. 131

     

    [31] V. Le For intérieur, p. 64

     

    [32] Nous pensons plus particulièrement au cheminement du sang qui s'échappe du mort.

     

    [33] V. L'Infini chez soi, p. 125

     

    [34] ibid., p. 7

     

    [35] V. Le Souffle, p. 56

     

    [36] V. Lettre au vieil homme, p. 48

     

    [37] Le Lit, p. 69

     

    [38] La Voyageuse, p. 121

     

    [39] p. 75

     

    [40] V. La Voyageuse, p. 91

     

    [41] V. La Rénovation, p. 60

     

    [42] V. Le For Intérieur, p. 24

     

    [43] V. Les Éclairs, p. 174

     

    [44] V. plus haut, p. 79

     

    [45] ibid.

     

    [46] op. cit.

     

    [47] V. La Rénovation, p. 77

     

    [48] Émission, « Le bon plaisir de Dominique Rolin », rencontre avec Jean-Jacques Brochier sur radio France Culture du 21/10/1995

     



    votre commentaire
  • CONCLUSION

    -- page break --

    Pour ce travail, nous nous étions donné comme objectif de présenter l'œuvre romanesque de Dominique Rolin dans une vue d'ensemble. Avec plus de trente romans et autant de nouvelles, l'œuvre rolinienne, s'étendant sur plus de cinquante années, mériterait que l'on s'attarde sur certains romans comme L'Infini chez soi, ou Les Éclairs, La Maison la forêt ou encore L'Enragé, ou que l'on étudie en profondeur des thèmes spécifiques comme, les paysages, les corps, le temps, dans Le Souffle ou Le Jardin d'agrément, etc.

     

    Il en va de cette importante œuvre de lettres comme de cette cathédrale de pierres que l'on n'a jamais fini de connaître tant est grande sa complexité et tant l'esprit qui l'habite est d'un ordre différent de celui des éléments qui la composent. Notre ambition était d'embrasser du regard l'ensemble de l'édifice sous les différents angles qui nous semblaient les plus révélateurs de son originalité.

     

    Puis, nous nous sommes proposé de pénétrer à l'intérieur de l'œuvre pour une reconnaissance des lieux. Nous nous sommes attardé sur les éléments qui nous paraissaient les plus significatifs ou importants mais nous n'avons pas voulu réaliser une étude exhaustive (il aurait fallu pour cela faire l'étude précise de chacun de ses romans). Nous avons malgré tout tenté d'utiliser chaque roman pour donner un aperçu de l'inscription de chaque ouvrage dans une globalité logique. Nous l'avons fait en sachant qu'il nous faudrait, un jour, revenir sur nos pas pour mieux comprendre un détail, pour découvrir un aspect qui nous avait échappé lors de notre précédente visite. De celle-ci nous retiendrons en substance quatre points particulièrement caractéristiques :

     

    1- La dynamique du style (comme nous l'avons montré dans la première partie avec les trois phases d'évolution de l'écriture de Dominique Rolin : la tradition ‘réaliste', l'exploration Nouveau Roman et l'équilibre synthétique)

     

    2- Le jeu avec le lecteur (le jeu entre identité de l'auteur et du narrateur que nous avons assimilé à l'autofiction)

     

    3- L'approche organique de l'écriture (une écriture du corps dont elle se sert pour apprendre et comprendre)

     

    4- La constance des thèmes (ces derniers ont toujours été les mêmes et ont jalonné l'œuvre entière : l'amour, la mort, le temps, la famille...)

     

    Sur une cinquantaine d'années d'écriture, l'auteur s'est consacré exclusivement à l'étude et à la description de la relation d'un être avec l'un ou l'autre des éléments composant son environnement. Un survol en ‘accéléré' de la liste exhaustive des romans publiés depuis 1943 suffit à nous en convaincre.

     

    Les Marais : enfants et parents s'aiment et se détruisent dans un climat assombri par la mort d'un des enfants.

     

    Anne la bien-aimée : une jeune femme quitte sa famille et son village pensant trouver une vie meilleure, sa soif d'absolu la conduit vers la déchéance et le suicide.

     

    Les Deux sœurs : deux sœurs qui sont unies par leur amour au milieu des obstacles de la vie.

     

    Moi qui ne suis qu'amour : la mère de deux enfants, veuve, décide de mettre fin à ses jours le jour du mariage de l'un de ses fils pour retrouver l'être chéri.

     

    L'Ombre suit le corps : Un père abandonne sa famille pour vivre une passion adultère. L'échec sera cuisant et le retour auprès des siens sera marqué par cette néfaste expérience.

     

    ‑ Le Souffle : la mort proche du père de famille emporte les enfants dans la complexité de l'héritage paternel et révèle le désir de chacun de trouver sa propre indépendance et personnalité.

     

    Les Quatre coins : une adolescente de quatorze ans, amoureuse d'un jeune homme de vingt ans qui ne l'aime pas, part à la recherche de la vérité, la sienne et celle du monde.

     

    Le Gardien : les relations privilégiées d'un père et de son fils.

     

    Artémis : une femme livre peu à peu son âme au travers de l'amour de ses trois enfants, sa vie basculera après la mort de sa fille et de son gendre.

     

    Le Lit : la narratrice coule un bonheur parfait jusqu'à ce que son mari soit emporté par la maladie. Comment choisir de continuer à vivre malgré la perte de l'être le plus cher ?

     

    Le For intérieur : une femme analyse ce qui se passe dans les coulisses de sa pensée, innocence et perversité, sauvagerie et délicatesse ne cessent de s'y affronter.

     

    La Maison la forêt : un vieil homme et sa femme font état à tour de rôle de la tension de leur relation l'un à l'autre ; entre solitude, incompréhension et fidélité.

     

    Maintenant : la narratrice conduit un monologue intérieur grâce auquel le lecteur assiste à son introspection, ses réflexions sur sa vie, l'amour, l'écriture, la famille.

     

    Le Corps : la narratrice étudie tout ce qui se passe au « dedans » et au « dehors » de son corps, de son esprit.

     

    Les Éclairs : la narratrice décrit et analyse l'ensemble des souvenirs qui hantent sa vie et qui lui reviennent par flashes, comme des éclairs.

     

    Lettre au vieil homme : un père et sa fille dialoguent, s'éloignant et se rapprochant. L'auteur s'interroge ici sur le drame de la fonction paternelle qui ne pourrait aboutir qu'à la mort.

     

    Deux : deux personnalités contradictoires de la narratrice s'affrontent dans un véritable match. C'est l'analyse de la dualité de l'être humain.

     

    Dulle Griet : la narratrice conduit une exploration psychique par l'intermédiaire de sa famille, son enfance, ses origines, confrontées obsessionnellement à l'amour et à la mort

     

    L'Enragé : le peintre Brueghel l'Ancien, dans une autobiographie apocryphe, ses dernières heures approchant, parcourt les grands moments et choix de sa vie.

     

    L'Infini chez soi : la narratrice retrace la rencontre de ses parents, la naissance de leur amour jusqu'au jour de sa propre naissance, fruit d'un accident entre deux amants. Elle montre en quoi se détermine une vie entière

     

    Le Gâteau des morts : juste avant de mourir, les souvenirs reviennent à la mémoire de la narratrice ; comment une mourante vit plus intensément que jamais la fatalité de l'anéantissement.

     

    La Voyageuse : la narratrice morte décrit sa vision ‘d'après-vie' contemplant le monde d'en haut. Malgré cette mort, l'esprit après la vie reste toujours en quête.

     

    L'Enfant-roi : les enfants pensent. Leurs facultés d'analyse sont justes et pertinentes, sans imposture. L'ouvrage montre comment l'un de ces enfants devient un adulte sans scrupules.

     

    Trente ans d'amour fou : la narratrice se pose la question : d'où vient le bonheur, d'où vient l'amour. Elle tente d'y répondre en analysant sa propre expérience et sa relation avec Jim.

     

    Vingt chambres d'hôtel : un homme cherche son identité dans des chambres de toutes sortes et des femmes de toutes conditions. Il retournera auprès des siens et avouera son échec.

     

    Deux femmes un soir : une mère et sa fille vivent des relations à la fois tendues, conflictuelles et pleines d'amour.

     

    Le Jardin d'agrément : deux personnages en complète contradiction sont réunis. Leur opposition crée un équilibre. Ils vont finir par se confondre.

     

    L'Accoudoir : la narratrice, penchée à sa fenêtre, contemple le passage des étrangers et la vie de la rue, prétextes à retours sur sa propre vie.

     

    La Rénovation : la narratrice, en conflit avec sa mémoire, est confrontée à la rénovation de son vieil immeuble et à l'avidité des promoteurs. Cette rénovation sera surtout l'occasion d'une victoire sur sa propre mémoire, trop envahissante à son goût.

     

    - Journal amoureux : la narratrice fait l'apologie d'une relation amoureuse qui a traversé sa vie depuis quarante années.

     

    - Le Futur immédiat : la narratrice, en conflit avec le Temps, nous fait part de son bonheur de vivre l'instant présent.

     

    L'amour, les relations familiales, la solitude, la mort, l'expérience de la vie... tout autant de thèmes qui sont exclusivement centrés sur l'individu. À la lecture de la liste précédente nous nous rendons compte que l'œuvre rolinienne semble être une étude approfondie de soi dans toutes les circonstances de la vie. La recherche de soi par l'écriture.

     

    Tous les héros roliniens se remettent en question. Tous portent un regard sur leur vie et tentent dans un premier temps de la comprendre, l'évaluer, puis, n'étant pas satisfaits, de l'enrichir, de l'améliorer en tentant de nouvelles expériences (qui parfois vont jusqu'au meurtre comme dans Le Souffle). Même si cette tentative est à chaque fois difficile et vaine (comme dans Anne la bien-aimée, Moi qui ne suis qu'amour, L'Ombre suit le corps, Les Quatre coins, L'Enfant-roi, Vingt chambres d'hôtel), il y a chez tous ces personnages une réelle volonté d'atteindre le bonheur. Dominique Rolin semble considérer que ce bonheur ne peut pas se trouver en se voilant la face. Cela n'est possible qu'en affrontant et en regardant en face la vérité de sa propre existence. Dominique Rolin s'exprime très régulièrement sur « la volonté du bonheur » [1]. Elle envisage cela comme un véritable combat sur soi, combat qui se retrouve systématiquement dans ses romans, au travers desquels elle « recherche les secrets qui font que les rapports familiaux et amoureux sont durs » (sic). La base du contenu des romans de l'auteur répond à une sorte d'éthique qui serait la volonté du bonheur, justificatrice de l'écriture et influant certainement l'esthétique de cette dernière.

     

    Ces cinquante années d'écriture sont, au-delà du travail de rédaction, un exercice de très longue haleine porté sur la propre vie de l'auteur, riche en souffrances et en plaisirs. Chaque ouvrage révèle, toujours, un peu plus de la connaissance de soi. Il s'agit d'une recherche minutieuse (ce que montrent la diversité et la complexité des diverses solutions relationnelles envisagées dans les romans). Elle demande beaucoup d'expérience, et l'auteur l'aborde toujours avec sang-froid, cruauté, humour, optimisme et objectivité. Elle demande surtout une implication telle de l'auteur que l'écriture, comme nous l'avons vu dans notre dernière partie, devient une sorte de besoin organique. L'auteur dira par ailleurs dans une interview récente accordée à Pascale Frey pour le magazine Lire :

     

    « Écrire, c'est une nécessité physique, nerveuse. j'ai besoin de nettoyer mon imagination. » [2]

     

    Mais l'auteur ne se contente pas seulement de nettoyer son imagination, sa mémoire ‘y passe' aussi. C'est l'anthropomorphisation de la mémoire avec Lady Mémoire dans La Rénovation (la narratrice combat sa propre mémoire) qui en est l'exemple le plus parlant, mais l'ensemble des ouvrages roliniens montre des héros qui reviennent toujours sur leur passé, toujours en lutte avec leur mémoire, leurs souvenirs... Dans La Rénovation, la narratrice gagne le combat !

     

    C'est sans aucun doute ce combat permanent et cette recherche assidue de la vérité qui ont conduit l'auteur à ne pas se contenter d'un seul style d'écriture et d'une routine. Le lecteur ressent cette recherche du style adéquat au travers des différentes évolutions remarquables que nous avons notées au tout début de notre étude. Même en 1996 avec la sortie de L'Accoudoir l'auteur a opéré un nouveau changement stylistique qui semble se confirmer avec la sortie toute récente de Futur immédiat. Désormais les romans roliniens sont beaucoup plus brefs que les précédents (150 pages au maximum) et l'on y sent l'auteur plus déterminé, plus affûté vers le but à atteindre : une seule préoccupation motive à l'évidence la narratrice du début à la fin : l'efficacité dans la recherche de la vérité.

     

    L'œuvre de Dominique Rolin semble donc être une quête spirituelle, et c'est pour avoir les meilleures chances de succès qu'elle est à la fois variée (notamment concernant le style littéraire mais aussi les différents récits et différentes personnalités), ambiguë et contradictoire (comme nous l'avons vu à propos de l'identité du narrateur ainsi que les personnages qui se retrouvent souvent face à leur propre dualité), objective et cruelle (l'auteur n'a jamais souhaité s'encombrer d'éléments ne servant pas strictement la recherche).

     

    Si cette œuvre semble en mouvement constant c'est parce qu'elle est le réel reflet de la vie de l'auteur. Au reste, Dominique Rolin, parlant de ses ouvrages, affirme : « la matière [de ses ouvrages] naît de ce que j'ai vécu ».[3] Voilà une affirmation qui lève un peu le voile sur l'ambiguïté du récit et qui confirme le caractère autofictionnel de l'œuvre. Dans le même article, l'auteur affirmera que ses « livres ressemblent à une sorte d'auto-analyse ». Elle ajoute « À chacun de mes récits, je me débarrasse de mes drames. Je crois qu'il faut parier sur le bonheur, le don de la vie est une merveille ». Ainsi Dominique Rolin entretient le mystère. Ses livres ressemblent à des analyses psychanalytiques mais n'en sont pourtant pas. Ils apparaissent en tout cas comme de puissants exutoires. Il ne faut alors peut-être pas chercher une réponse à la question de la réalité ou de la fiction, mais tout simplement suivre les narrateurs dans leur propre recherche et tenter, avec eux, de trouver réponse à nos propres questions.

    -- page break --

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    BIBLIOGRAPHIE

    -- page break --

    III. Bibliographie

     

    III. 1. L'œuvre publiée de Dominique ROLIN.

     

    III.1. 1. Romans

     

     

    - Les Marais.- Paris : Denoël, 1942.- 203 p.

    Édition préoriginale dans Cassandre.- Bruxelles, du 15 décembre 1940 au 16 février 1941, 10 feuilletons.

    Rééditions : - Paris : Le Livre de poche, 1969.- 192 p.- [Paris] : Gallimard, 1990.- 205 p. Préfacé par l'auteur.

     

    - Anne la bien-aimée.- Paris : Denoël, 1944.- 117 p.- (La belle étoile).

    Frontispice réalisé par l'auteur

    Réédition : - Bruxelles : Éditions Bernard Gilson, 1993.- 111 p.- (Pré aux sources).

     

    - Les Deux sœurs.- Paris : Denoël, 1946.- 324 p.

     

    - Moi qui ne suis qu'amour.- Paris : Denoël, 1948.- 272 p.

     

    Édition préoriginale dans La Nef, Paris, du n° 45 (août 1948) au n° 48 (novembre 1948).

    Réédition : - Paris : Le Livre de poche, 1968.- 253 p.

     

    - L'ombre suit le corps.- Paris : Seuil, 1950.- 238 p.- (Pierres vives).

     

    - Le Souffle.- Paris : Seuil, 1954.- 256 p.

     

    - Les Quatre coins.- Paris : Seuil, 1954.- 256 p.

     

    - Le Gardien.- Paris : Denoël, 1955.- 240 p.

     

    Rééditions : - Paris : Le Club de la femme, 1965.- 253 p. - Paris : Le Cercle du bibliophile, 1966.- 253 p.- Précédé d'un entretien avec l'auteur.

     

    - Artémis.- Paris : Denoël, 1958.- 247 p.

     

    - Le Lit.- Paris : Denoël, 1960.- 221 p.

    Rééditions : - Paris : Gallimard, 1972.- 212 p.- (Folio).

    - Paris : Gallimard, 1996.- 212 p.- (Folio). Nouvelle couverture

     

    - Le For intérieur.- Paris : Denoël, 1962.- 253 p.

     

    - La Maison la forêt.- Paris : Denoël, 1965.- 264 p.

    Réédition : - Bruxelles : Labor, 1992.- 257 p.- (Espace nord).- Préfacé par Roger Grenier ; lecture de Frans de Haes.

     

    - Maintenant.- Paris : Denoël, 1967.- 266 p.

     

    - Le Corps.- Paris : Denoël, 1969.- 287 p.

     

    - Les Éclairs.- Paris : Denoël, 1971.- 316 p.

     

    - Lettre au vieil homme.- Paris : Denoël, 1973.- 288 p.

     

    - Deux.- Paris : Denoël, 1975.- 243 p.

     

    - Dulle Griet.- Paris : Denoël, 1977.- 229 p.

     

    - L'Enragé.- Paris : Ramsay, 1978.- 228 p.- (La vie antérieure).

    Réédition : - Bruxelles : Labor, 1986.- 233 p.- (Espace nord).- Préfacé par Philippe Sollers ; lecture de Ginette Michaux. Réimprimé en 1992.

     

    - L'Infini chez soi.- Paris : Denoël, 1980.- 230 p.

     

    - Le Gâteau des morts.- Paris : Denoël, 1982.- 243 p.

     

    - La Voyageuse.- Paris : Denoël, 1984.- 204 p.

     

    - L'Enfant-roi.- Paris : Denoël, 1986.- 285 p.- (L'Infini).

     

    - Trente ans d'amour fou.- [Paris] : Gallimard, 1988.- 248 p.

     

    - Vingt chambres d'hôtel.- [Paris] : Gallimard, 1990.- 195 p.

     

    - Deux femmes un soir.- [Paris] : Gallimard, 1992.- 235 p.

     

    - Le Jardin d'agrément.- [Paris] : Gallimard, 1994.- 213 p.

     

    - L'Accoudoir.- [Paris] : Gallimard, 1996.- 141 p.

     

    - La Rénovation.‑ [Paris] : Gallimard, 1998.‑ 135 p.

    - Journal amoureux.‑ [Paris] : Gallimard, 2000.‑ 121 p.

     

    - Le Futur immédiat.‑ [Paris] : Gallimard, 2002.‑ 115 p.

    -- page break --

    III.1. 2. Nouvelles et récits

     

    - Repas de famille, dans Le Flambeau.- Bruxelles, 1935, n°5.- p. 513-532.

     

    - Histoire de Rachou aux cheveux verts, dans Cassandre.- Bruxelles, 04/05/1935.- p. 9.

     

    - Printemps, dans Cassandre.- Bruxelles, 29/06/1935.- p. 9.

     

    - La Nuit, dans Cassandre.- Bruxelles, 24/08/1935.- p 9-12.

     

    - La Jeune fille qui attendait, dans Cassandre.- Bruxelles, 07/09/1935.- p. 11-12.

     

    - La Mort d'Adrien Virne, dans Cassandre.- Bruxelles, 07/12/1935.- p. 5.

     

    - La Peur, dans Mesures.- Paris, 1936, n°3.- p. 17-32.

     

    - La Nostalgique Mamou Lennka, dans Cassandre.- Bruxelles, 07/03/1936.- p. 5 et 11.

     

    - Réveillon, dans Cassandre.- Bruxelles, 13/06/1936.- p. 5.

     

    - Les Géraniums, dans Cassandre.- Bruxelles, 08/08/1936.- p. 5.

     

    - Un Miracle, dans Cassandre.- Bruxelles, 20/02/1937.- p. 5.

     

    - Quarante jours de pluie, dans Cassandre.- Bruxelles, 01/11/1942.- p. 5.

     

    - Les Portes de Dieu. Conte de Noël, dans Les Nouvelles Littéraires.- Paris, 21/12/1946. p. 1-2.

     

    - La Mariée. Conte de Pâques, dans Les Nouvelles Littéraires.- Paris, 03/04/1947.- p. 1-2.

     

    - Funérailles, dans Les Cahiers du Nord.- Bruxelles, 1949, n°6.- p. 580-583.

     

    - Éloi.- Paris : Fayard, 1950.- 50 p.

     

    - Éloi dans Les Œuvres Libres.- Paris, novembre 1954, n°54.- p. 141-190.

     

    - Fugue, dans Le Soir.- Bruxelles, 21/01/1953.- p. 4.

     

    - Bonne et heureuse, dans Preuves.- Paris, 1953, n°30-31.- p. 7 et 9.

     

    - Mauvaise graine, dans Bouquin.- Paris, juin 1954, n°4.- p. 160-168.

     

    - Conte triste de l'horloge, dans Les Œuvres Libres.- Paris, mai 1956, n°120.- p. 37-86.

     

    - Conte triste de l'horloge,.- Paris : Fayard, 1956, 50 p.

     

    - Week-end à Londres, dans Modes et travaux.- Paris, 1960, n°710.- p. 5-15.

    - Dimanche de mai, dans Les Nouvelles Littéraires.- Paris, 28/04/1960.- p. 1.

     

    - Le Chanteur de Venise, dans L'infini.- Paris, 1985, n°9.- p. 9-13.

     

    - Les Géraniums : nouvelles de jeunesse et quelques autres.- Paris : Éditions de la Différence, 1993.- 499 p.

    Avant-propos de l'auteur.

    Recueil de nouvelles contenant : Les Géraniums, Couleur de temps, Mademoiselle de Paris, Le Bar, La Belle et la bête, La Mort de Cléopâtre, La Jeune fille et le cavalier, Conte triste de l'horloge, Réveillon, Un Miracle, Les Portes de la nuit, Bonne et heureuse, Les Somnambules, La Mort à la campagne, Quarante jours de pluie, La Jeune fille qui attendait, Une voix venue d'ailleurs, École buissonnière, Au coin du feu, Le Poisson d'argent, Repas de famille.

    -- page break --

    III.1. 3. Théâtre

     

     

    - L'Épouvantail, pièce en quatre actes.- Paris : Gallimard, 1957, 291 p.- (Le manteau d'Arlequin).

     

    - La Mort de Cléopâtre, monologue dans Mille et un soirs au Théâtre-Poème.- Bruxelles, Théâtre-Poème, 1983.- p. 76-87.

     

     

    III. 1. 4. Essais et fictions

     

     

    - Festivals, dans Preuves.- Paris, 1957, n°78.- p.21-24.

     

    - Bruges la vive.- Paris : Ramsay/de Cortanze, 1990.- 101 p.

     

    - Un convoi d'or dans le vacarme du temps.- Paris : Ramsay/de Cortanze, 1991, 193 p.

     

    - L'agneau mystique, dans L'Infini.- Paris : Gallimard, 1988, n°22.- p.25-32.

     

    - Sang belge, dans Magazine Littéraire.- Paris, décembre 1990.- p. 32-33.

     

    - Train de rêves.- Paris : Gallimard, 1992.- 127 p.- (L'Infini).

     

    - Rêves, dans Nord'.- Lille : S. L. N., 1996, n°27.- p. 63-72.

     

     

    III. 1. 5. Articles critiques, fictions, récits de rêves.

     

     

    - La Mort à la campagne, in : La Table ronde.- Paris, mai 1949, n°17.- p. 849-852

     

    - Saint-Germain-des-Prés, in : Hommes et mondes.- Paris, août 1949, n° 37.- p.673-677

     

    - Fêtes, in : La Gazette des lettres.- Paris, janvier 1951, n°4.- p. 30-31

    - Je transporte avec moi une chambre de travail, in : La Table ronde.- Paris 1956, n°99.- p. 92-93

    - Festival, in : Preuves.- Paris, août 1957, n° 78.- p. 21-24

    - Le Femina au pied du mur, in : Les Nouvelles littéraires.- Paris 26/11/1959.- p. 1-4

    - « Marie Vetsera », in : Femmes célèbres.- publié sous la direction de Lucienne Mazenod.- Paris : édition d'art L. Mazenod, 1960

    - « Marguerite Audoux », in : ibid.

    - « Séverine », in : ibid.

    - Comment on devient romancier, in : Les Annales.- Paris, décembre 1964, n° 170.- p.29-40

    - Je n'oublierai jamais ma stupeur et mon effroi lorsque j'ai vu la première fois les dames du Femina, in : Le Nouveau Candide.- Paris, 03/12/1964, n° 188.- p. 29

    - Message personnel, in : France-Soir.- Paris 04/09/1975.- p 17

    - « Le désir de Vermeer », in : La Séduction, sous la direction de Maurice Olender et Jacques Sojcher.- Paris : Aubier, 1980

    - Les sept sacrements de Roger Van der Weyden, in : Littérature 80.- Bruxelles : Revue de l'Université de Bruxelles, 1980, Numéro Spécial ‘La Belgique Malgré tout'.- p. 415-518

    - « À Paul Willems », in : Le Monde de Paul Willems, Textes, entretiens, études rassemblés par Paul Edmond, Henri Ronse et Fabrice van Kerckhove.- Bruxelles : Labor,1984.- p. 223-235 (coll. Archives du futur), réédition 1992

    - Faire l'amour et Fragonard, in :Le Genre humain.- Paris, automne-hiver 1985-1986, n° 13.- p. 155-165

    - Un jour un train, in : André Delvaux ou les visages de l'imaginaire, A. Nysenholc.- Bruxelles : Éditions de l'Université de Bruxelles, 1985.- p. 295

    - Un Convoi d'or dans le vacarme du temps, in : L'Infini.- Paris Gallimard, automne 1985, n° 12

    - Lettre ouverte à Florence, in : L'Infini.- Paris : Gallimard, hiver 1987, n° 17

    - L'Agneau mystique, in : L'Infini.- Paris : Gallimard, été 1988, n° 22

    - Rêves, in : L'Infini.- Paris : Gallimard, hiver 1989, n° 28

    - Sang belge, in : Le Magazine littéraire.- Paris, décembre 1990.- p. 32-33

    - Train de rêves, in : L'Infini.- Paris : Gallimard.- printemps 1992, n° 37

     

     

    III. 1. 6. Chroniques littéraires de Dominique Rolin

     

     

    - ABRAHAM, Izzi : Le jeu des grands ensembles. « La Termitière aux voyeurs », in : le Point.- Paris, 17/02/1975, n° 126.- p. 89

     

    - AMETTE, Jean-Pierre : La Vie comme ça. « Le Dernier grand jeu », in : Le Point.- Paris, 30/09/1974, n° 106.- p. 106

     

    - BARTHES, Roland : Le Plaisir du texte. « La Volupté de lire », in : Le Point.- Paris, 06/03/1973, n° 24.- p. 69

     

    - BELLOW, Saül : Mémoires de Mosby et autres nouvelles. « Hattie, Samuel, Willis et les autres », in : Le Point.- Paris 05/05/1975, n° 137.- p. 130

     

    - BLOCH-MICHEL, Jean. « Bloch-Michel », in : Les Nouvelles littéraires.- Paris, 10/01/1957.- p. 4

     

    - BLOND, Georges : La Méditerranée où se joue notre destin. « Biographie de la grande bleue », in : Le Point.- Paris, 15/07/1974, n° 95.- p. 65

     

    - BLOT, Jean : les Cosmopolites. « Souvenirs d'Odessa », in : Le Point.- Paris, 08/11/1976, n° 216.- p. 176

     

    - BLOT, Jean : La Jeune géante. « Les Voix interdites », in : Le Nouvel observateur.- Paris, 13/03/1968, n° 175.- p. 37-38

     

    - BORDIER, Roger. « Mal de mer, mal de vivre », in : Le Point.- Paris, 22/04/1974, n° 83.- p. 121-123

     

    - BORY, Jean-Louis : les Passants ou les miettes célibataires. « Silence, la mémoire tourne », in : Le Point.- Paris, 14/04/1975, n° 134.- p. 128-129

     

    - BOUDJEDRA, Rachid : Topographie idéale pour une agression caractérisée. « La Mort en ce tunnel », in : Le Point .- Paris, 12/09/1975, n° 157.- p. 121

     

    - BUTOR, Michel : Matière de rêve. « L'autre monde », in : Le Point.- Paris, 22/09/1975, n° 157.- p. 125

     

    - CAGNATI, Inès : Le Jours de congé. « La Nuit des pourquoi ? », in : Le Point.- Paris, 21/05/1973, n° 35.- p. 97

     

    - CALAFERTE, Louis. « Calaferte », in : Le Magazine littéraire.- Paris, septembre 1981, n° 176.- p. 57-58

     

    - CALAFERTE, Louis. « Quatre-vingt-six fantasmes éclatés », in : Le Magazine littéraire.- Paris, avril 1983, n° 194.- p. 68

     

    - CAPRI, Agnès : Sept épées de mélancolie. « La Chanson d'une vie », in : Le Point.- Paris, 14/07/1975, n° 147.- p. 64

     

    - CAYROL, Jean : Histoire de la forêt. « L'Enchanteur enchanté », in : Le Point.- Paris, 03/02/1975, n° 124.- p. 81

     

    - CAYROL, Jean : Histoire de la mer. « La mer buissonnière », in : Le Point.- Paris, 22/01/1973, n° 18.- p. 68

     

    - CAYROL, Jean : Kakemono hôtel. « La Vieille dame et les indignes », in : Le Point.- Paris, 01/04/1974, n° 80.- p. 92

     

    - CÉLINE, Louis-Ferdinand. « Ni avant, ni après », in : Louis-Ferdinand Céline, textes réunis et présentés par Dominique de Roux avec le concours de Michel Thélia, L'Herne : Paris, 1962

     

    - CREVEL, René : Mon Corps et moi - La Mort difficile - Les Pieds dans le plat. « La Vie à en crever », in : Le Point.- Paris, 13/05/1974, n° 86.- p. 126-127

     

    - DOFF, Neel : Jours de famine et de détresse. « La boîte noire des souvenirs », in : Le Point.- Paris, 11/11/1974, n° 112.- p. 146-147

     

    - DUCOUT, Françoise : Les Anges dans nos campagnes. « Déferlement de mots sur la Suisse », in : Le Point.- Paris, 29/11/1976, n° 219.- p. 176

     

    - DUPUY, Jacques : Nationale zéro. « Rendez-vous de rien », in : Le Point.- Paris, 26/03/1973, n° 27.- p. 81

     

    - DUVERT, Tony : Le Bon sexe illustré. « Monseigneur Bébé », in : Le Point.- Paris, 04/02/1974, n° 72.- p. 82

     

    - DUVERT, Tony : Paysage de fantaisie. « Superbement amoral », in : le Point.- Paris, 14/02/1973, n° 21.- p. 67

     

    - ESCOULA, Yvonne : Le Temps infini. « Le Temps infini par Y. Escoula », in : Le Nouvel observateur.- Paris, 09/12/1968, n° 213.- p. 46

     

    - FROMENTIN, Eugène. « Fromentin », in : Tableau de la littérature française. De Madame de Staël à Rimbaud.- Paris, Gallimard, 1976. Préface de Dominique Aury

     

    - GAY-LUSSAC, Bruno : La Robe. « Panama blanc », in : le Nouvel Observateur.- Paris, 18/05/1966, n° 79.- p. 36

     

    - HAUMONT, Marie-Louise : Le Trajet. « L'Ordre des choses », in : Le Point.- Paris, 08/11/1976, n° 216.- p. 75

     

    - HAUMONT, Marie-Louise : Comme ou la journée de Marie Pline. « Une mémoire en patchwork », in : Le Point.- Paris, 06/01/1975, n° 120.- p. 72

     

    - LEDUC, Violette : La Chasse à l'amour. « Un cri d'outre-tombe », in : Le Point.- Paris, 19/11/1973, n° 61.- p. 138-139

     

    - LEFÈVRE, Françoise : Le Première habitude. « La Rage de sauver », in : Le Point.- Paris, 12/08/1974, n° 99.- p. 62-63

     

    - LE PORRIER, Herbert : Le Médecin de Cordoue. « La Recette du succès » , in : Le Point.- Paris, 10/02/1975, n° 125.- p. 85

     

    - LESOUALC'H, Théo : Phosphènes. « Miller 1972 » , in : Le Point.- Paris, 08/01/1973, n° 16.- p. 65

     

    - LESSING, Doris : Le Carnet d'or. « Il faut lire Doris Lessing » , in : Le Point.- Paris, 19/07/1976, n° 200.- p. 66-67

     

    - LEWISOHN, Ludwig : Sur le cas de Monsieur Crump. « Mélodie en enfer » , in : Le Point.- Paris, 01/12/1975, n° 167.- p. 156

     

    - LINZE, Jacques-Gérard : La Conquête de Prague. « Le Tombeau de Kafka », in : Le Nouvel observateur.- Paris, 13/10/1965, n° 48.- p. 29

     

    - MAGNY, Claude-Edmonde. « Les Deux visages de Claude-Edmonde Magny », in : Les Nouvelles littéraires.- Paris, 04/08/1966, n° 2031.- p. 2

     

    - MANSFIELD, Katherine. « Le Vivre vite de Katherine Mansfield » , in : Le Point.- Paris, 19/03/1973, n° 26.- p. 82

     

    - MARAINI, Dacia : Theresa la voleuse. « Theresa la voleuse » , in : Le Point.- Paris, 04/03/1974, n° 76.- p. 102

     

    - MARCEAU, Félicien. « Félicien Marceau, rêveur incorruptible », in : Les Nouvelles littéraires.- Paris, 18/09/1969, n° 2191.- p.1, 7.

     

    - MASSIP, Renée : La Vie absente. « L'Autre danger » , in : Le Point.- Paris, 06/08/1973, n° 46.- p. 60

     

    - MEMMI, Albert : La Terre intérieure. « Un rebelle entre deux ghettos » , in : Le Point.- Paris, 08/03/1976, n° 181.- p. 126

     

    - NIMIER, Roger. « Etcaetera ou le jeune homme pressé », in : Cahiers Roger Nimier.- Paris, hiver 1983 - printemps 1984.- p. 119-129

     

    - OCAMPO, Silvana : faits divers de la terre et du ciel. « Pièges à maléfices » , in : Le Point.- Paris, 23/12/1974, n° 118.- p. 79

     

    - OLLIER, Claude : Our ou vingt ans après. « Le Secret de la ville morte » , in : Le Point.- Paris, 09/09/1974, n° 103.- p. 104

     

    - OZ, Amos : Jusqu'à la mort. « De la croisade au kibboutz » , in : Le Point.- Paris, 02/12/1974, n° 115.- p. 130

     

    - PEUCHMAURD, Jacques : Le Soleil cassé. « Entre parenthèses » , in : Le Point.- Paris, 28/05/1973, n° 36.- p. 85

     

    - PINGAUD, Bernard : La Voix de son maître. « La Mort du père » , in : Le Point.- Paris, 13/08/1973, n° 47.- p. 60

     

    - PLEYNET, Marcelin : Stanze. « Pour un langage libre » , in : Le Point.- Paris, 03/09/1973, n° 50.- p. 61

     

    - PROU, Suzanne : La Terrasse des Bernardini. « Les Petites vieilles modèles » , in : Le Point.- Paris, 01/08/1973, n° 54.- p. 99

     

    - RINALDI, Angelo : L'Éducation de l'oubli. « La Corse retrouvée » , in : Le Point.- Paris, 03/06/1974, n° 89.- p. 124

     

    - ROBLÈS, Emmanuel. « Sur un ami », in : Simoun.- Paris, 1959, numéro spécial Roblès.- p. 23-24

     

    - ROCHE, Maurice : Circus. « Une cicatrice vivante », in : le Nouvel observateur.- Paris, 28/09/1966, n° 98.- p. 32-33

     

    - ROTH, Philip : Le Sein. « Le Sein perd la tête », in : Le Point.- Paris, 28/04/1975, n° 136.- p. 128

     

    - SAGAN, Françoise : Aimez-vous Brahms ? « Un Livre immobile », in : La Nef.- Paris, 10/1959.- p. 67

     

    - SARDUY, Severo. « Le Carnaval des travestis », in : Le Point.- Paris, 11/12/1972, n° 12.- p. 89

     

    - SILVAIN, Pierre : Le Grand théâtre. « Tempête à l'extérieur du crâne » , in : Le Point.- Paris, 29/10/1973, n° 58.- p. 95

     

    - SIMON, Claude : Triptyque. « Puzzle pour un voleur » , in : Le Point.- Paris, 05/02/1973, n° 20.- p. 72

     

    - SOLLERS, Philippe : H. « L'Encombrant Philippe Sollers » , in : Le Point.- Paris, 09/04/1973, n° 29.- p. 80

     

    - STAROBINSKI, Jean : Trois fureurs. « Deux fous et un cauchemar » , in : Le Point.- Paris, 13/01/1973, n°121.- p. 75

     

    - WEST, Morris : Arlequin. « Racket system incorporated » , in : Le Point.- Paris, 16/12/1974, n° 117.- p. 110

     

    - WILDE, Oscar : Le Portrait de Mr. W. H. « À la recherche de Mr. W. H. » , in : Le Point.- Paris, 31/12/1973, n° 67.- p. 63

     

    - WITTIG, Monique : Le Corps lesbien. « Élégie pour une amazone » , in : Le Point.- Paris, 21/04/1974, n° 70.- p. 65

     

    - XÉNAKIS, Françoise : Écoute. « La Ballade des suppliciés » , in : Le Point.- Paris, 18/12/1972, n° 13.- p. 77-78

     

    - XÉNAKIS, Françoise : Le Temps usé. « Une Vérité coincée » , in : Le Point.- Paris, 27/12/1976, n° 223.- p. 83

    -- page break --

    III. 1. 7. Préfaces.

     

     

    - CAVAILLÈS, Jules.- Carnet de Cannes.- Paris : Bibliothèque des arts, 1967. Présentation de Dominique Rolin

     

    - FITZGIBBON, Constantine.- L'Oiseau d'Arabie = The Arabian bird ; traduit de l'anglais par René Guyonnet.- Paris : Calmann-Lévy, 1954. Préface de Dominique Rolin

     

    - FROMENTIN, Eugène.- Dominique.- Paris : Rombaldi, 1978.- (coll. Le club des classiques). Préface de Dominique Rolin

     

    - KONINGSBERGER, Hans K.- Une Romance américaine = An American romance ; traduit de l'américain par Claude Elsen.- Paris : Stock, 1962. Préface de Dominique Rolin

     

    - SAND, George.- La Mare au diable. La Petite Fadette.- Paris : Rombaldi, 1968.- coll. Le club des classiques.- Réédition. Préface de Dominique Rolin

     



    [1] V. articles de presse en annexe.

     

    [2] V. Lire, n° 284 Avril 2000, « Dominique Rolin, toute une vie hors du temps » par Pascale FREY.

     

    [3] V. Lire, avril 2000, op. cit.

     



    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique