• L'OEUVRE DE DOMINIQUE ROLIN : essai de documentation & d'interprétation - Avant-propos

    UNIVERSITÉ PARIS III - SORBONNE NOUVELLE

    U. F. R. de Littérature et Linguistique Françaises et Latines

    École doctorale de Littérature française et comparée


    THÈSE

    pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ PARIS III

    EN LITTÉRATURE FRANÇAISE


    présentée et soutenue publiquement

    par

    Benjamin LAHACHE

    Titre :

    L'ŒUVRE DE DOMINIQUE ROLIN

    Essai de documentation & d'interprétation


    AVANT-PROPOS


    Cette année, cela fait tout juste soixante ans que Dominique Rolin a publié son premier roman, Les Marais. Cette parution fut très bien accueillie par le milieu littéraire et notamment par de grands noms tels Max Jacob et Jean Cocteau. Comme nous le détaillerons plus tard lors de la biographie de l'auteur, les ouvrages roliniens, à chacune de leur sortie, sont toujours salués par les auteurs les plus reconnus du moment, de Cocteau à Camus en passant par Nimier et Sollers. Dominique Rolin est une figure vivante de la littérature française [1]. Le Futur immédiat [2], sorti en février 2002, est son trente-et-unième roman et son quarantième ouvrage édité.

    Couronnée par de nombreux Prix (dont le premier fut le Femina en 1952), l'œuvre peut être considérée comme faisant partie intégrante du patrimoine littéraire français. La renommée de Dominique Rolin touche à nouveau le grand public. Elle est un auteur contemporain reconnu mais qui n'a pas toujours été médiatisée. Elle n'a, pourrait-on croire, jamais été réellement attirée par le succès littéraire. Non pas qu'elle ait un quelconque mépris envers le succès, loin s'en faut, mais il semble plutôt que ce dernier n'a jamais été une motivation première pour elle. Dominique Rolin n'a jamais sacrifié ni sa production ni sa personnalité, au souci d'être à la mode. Elle s'est toujours attardée sur la psychologie, voire la psychanalyse. Même si cette dernière peut être considérée comme ‘à la mode‘, pour l‘auteur c‘est une mode qui dure depuis une cinquantaine d‘année, donc une constante. Et sa manière d'aborder, d'affronter, dans ses écrits, les problèmes intimes du ‘genre humain', n'a pas été particulièrement fédératrice pour le plus grand nombre. Elle n'écrit pas pour divertir son lecteur : elle écrit parce qu'elle doit écrire, parce qu'il lui faut écrire, parce que l'écriture est une nécessité pour elle, que cela plaise ou non. Il s'agit là d'un cheminement intérieur, exposé aux lecteurs avec l'espoir que ceux-ci s'y retrouveront et pourquoi pas, et y gagneront peut-être une certaine aide.

    L'œuvre de Dominique Rolin se compose essentiellement de romans, de nouvelles, mais aussi de pièces de théâtre, d'essais, d'articles critiques, de scénarii. C'est une production riche et variée. Mais Dominique Rolin est avant tout une romancière et ce sont ses romans qui vont nous intéresser plus particulièrement car ils forment la plus grande partie de l'œuvre et l'essentiel de son travail. Le roman étant la forme littéraire privilégiée par l'auteur, notre étude portera sur l'ensemble de cette production mais aussi sur quelques nouvelles incontournables. Comme Dominique Rolin a commencé sa carrière littéraire par ce genre, ces dernières nous serviront entre autres à montrer l'évolution stylistique de son écriture.

    Son œuvre complète apparaît centrée sur les thèmes suivants : l'enfance, la famille, les amours, les déchirements, la mort, les rêves. En somme, sur les différents états, événements et passions que vivent les êtres au cours de leur destin. L'écriture rolinienne colle à la vie, colle à l'existence propre de l'homme et donc à l'intimité de sa condition. L'écriture est en quelque sorte le ‘combustible' de sa vie. Pour cette raison essentielle il nous semble nécessaire, avant même de commencer l'étude littéraire dans son aspect ‘poétique', d'effectuer une présentation biographique de l'auteur. En entrant ainsi dans la vie de Dominique Rolin nous serons mieux à même de comprendre les tenants et aboutissants de son œuvre romanesque.

    L'ensemble de sa production s'étendant sur plus d'un demi-siècle, nous tenterons en premier lieu d'en décrire l'évolution, d'en dégager les différentes phases remarquables. Nous constaterons que de 1942 à aujourd'hui, nous pouvons diviser l'écriture rolinienne en trois périodes caractéristiques. La distinction de ‘périodes' différentes nous permettra de mieux considérer l'ensemble. Même si, à première vue, le découpage pouvait formaliser un morcellement qui risquerait de défavoriser l'unité de l'œuvre, il nous semble un procédé efficace pour mieux appréhender un système global en s'attardant sur les sous-systèmes qui le composent. D'autant qu'ils nous permettront de dégager les processus de variation de la création car, force est de constater que dans la vie romanesque de l'auteur se dégagent nettement des évolutions stylistiques notoires. La première serait celle des débuts, de 1942 à 1962 : c'est le temps de la tradition dite ‘réaliste', ses romans se distinguent dans la vision de la cellule familiale qu'ils donnent (envisagée comme un véritable carcan que les enfants tentent de fuir), dans les thèmes abordés, mais pas dans le type d'écriture qu'elle emploie, celle-ci est alors plutôt ‘classique', héritée du roman du XIXe siècle et s'inscrivant dans une norme répandue alors. La seconde évolution serait celle du rapprochement avec le Nouveau Roman. Nous considérons alors l'œuvre en la replaçant par rapport à l'histoire littéraire du moment et en montrant les influences que cette période a eues sur l'auteur. Il fait des expériences, profite du vent nouveau qui souffle alors sur la littérature pour y trouver quelques moyens d'expression littéraire plus proches de sa propre pensée.

    Sans qu'elle fasse réellement partie du groupe des Nouveaux Romanciers, sans qu'elle se déclare comme tel, ses ouvrages montrent qu'ils en subissent nettement le ‘courant'. Pour l'auteur ce sera l'occasion d'approfondir sa recherche tout en se défendant de suivre une mode. Nous montrerons dans la présente étude en quoi cette défense était justifiée. Enfin, la troisième évolution notable serait celle d'une écriture ayant atteint une certaine maturité : de 1980 à aujourd'hui, le style rolinien semble avoir trouvé un équilibre que nous qualifierons de ‘synthétique', une sorte de retour à une écriture apparemment plus classique mais enrichie des connaissances apportées par la période de recherche sur le Nouveau Roman.

    Pour qu'il y ait une ‘évolution remarquable' il faut que celle-ci caractérise un certain nombre d'ouvrages. Nous n'en avons pas déterminé un nombre minimum, ferme et restrictif mais en regardant notre ‘découpage' nous constatons que chaque phase est composée d'une dizaine de romans. C'est pour cette raison que, malgré des indices qui pourraient être considérés comme une nouvelle tendance chez l'auteur (par exemple depuis 1996 avec L'Accoudoir les romans roliniens deviennent nettement plus courts), une sorte de désir d'efficacité et de raccourcissement des œuvres, nous ne considérerons pas qu'il s'agit là d'une quatrième phase. Même si nous la pressentons, nous manquons de recul pour l'analyser ; c'est là une des difficultés à étudier une œuvre romanesque contemporaine et toujours ouverte.

    Enfin, après avoir dégagé les différentes phases d'écriture de l'auteur, nous nous attarderons sur les procédés littéraires qu'il utilise et qui, réunis, donnent à l'écriture rolinienne sa spécificité. Nous appellerons ces procédés ‘les outils romanesques' car c'est en les utilisant que l'auteur construit son écriture. Ce sont : les niveaux de langues (avec lesquels l'auteur aime jouer), les néologismes, la ponctuation, l'ellipse, les mots ou phrases tronqués, l'éclatement des mots, l'agencement typographique, la répétition, la sonorité, et l'étymologie. Ainsi nous aurons donné un aperçu des caractéristiques formelles de l'écriture rolinienne.

    Une fois analysées diachroniquement les différentes évolutions de cette écriture ainsi que les procédés stylistiques qui la caractérisent, nous nous arrêterons sur les deux aspects fondamentaux de l'œuvre romanesque. Le premier de ces aspects se situe sur le plan narratologique. Comme nous l'avons signalé un peu plus haut, l'écriture, pour l'auteur, semble être une véritable nécessité, un besoin vital. Il s'implique tellement dans la création de ses ouvrages qu'il est parfois difficile, pour le lecteur, de savoir si c'est le narrateur qui prend le dessus dans la narration ou si c'est l'auteur qui la mène. Il y a là une sorte d'ambiguïté avec laquelle Dominique Rolin ne manque pas de jouer. Cette ambiguïté nous amènera à prendre en considération le statut même du roman : pure fiction ou autobiographie ? Les ouvrages de Dominique Rolin sont-ils de ‘vrais' romans ? Nous trouverons une réponse dans l'autofiction grâce aux travaux, entre autres, de Serge Doubrovsky. Cela nous amènera à la constatation suivante : l'auteur assimile intégralement son narrateur et c'est un facteur de liberté pour lui, une sorte d'abolition des frontières normées. Auteur et narrateur ne forment plus qu'une seule entité au service de l'introspection, ils utilisent le livre comme médium.

    Après avoir constaté et démontré que le mode utilisé par Dominique Rolin pour écrire peut être placé du côté de l'autofiction nous soulèverons un deuxième aspect caractérisant particulièrement ces œuvres. Nous l'appelons : l'écriture organique. C'est une écriture physiologique, presque dédiée aux organes. Les descriptions corporelles apparaissent souvent, les organes sont particulièrement montrés, détaillés, un langage dur et froid, parfois choquant, mais toujours évocateur, est employé : tous ces indices montrent que l'auteur, semble porter un intérêt particulier pour le corps dans son acception la plus charnelle. Communément, écrire est considéré comme le mode d'expression de la pensée. Cette dernière peut aussi s'exprimer par les gestes ou par la voix. On s'accorde toutefois à donner une sorte d'exclusivité à l'écriture pour retranscrire l'intellect. Chez Dominique Rolin, elle possède véritablement un caractère corporel. Un peu comme si c'était non pas l'auteur, mais le corps qui s'exprimait en écrivant. Quand on parle d'expression corporelle on pense généralement sport, danse, gestuelle... Nous verrons que chez Dominique Rolin l'expression corporelle est aussi une sorte de gymnastique, mais une gymnastique scripturale. Elle devient le moyen pour le corps tout entier (et plus seulement la pensée) de communiquer. Par ailleurs, cette écriture ‘organique' n'est pas qu'un procédé esthétique, elle sert un but précis que l'auteur poursuit tout au long de son œuvre : au-delà de ce désir d'expression totale, l'écriture organique est le médium qu'il utilise pour appréhender le monde et, d'une certaine manière, toucher du doigt la vérité de sa propre existence, et par là même, celle de ses contemporains.


    [1] Comme le montrent les articles de presse (V. en annexe) publiés à chaque sortie de ses romans et notamment pour Le Futur immédiat.

    [2] Le Futur immédiat.‑ Paris : Gallimard, 2002.‑ 115 p


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