• L'OEUVRE DE DOMINIQUE ROLIN 8

    Ces mains sont ici dotées de sentiments, elles sont dites « désespérées ». En fait, elles ne devraient être présentées que comme le simple reflet des pensées de la mère de Virginie. L'auteur aurait pu écrire ‘...et ses deux mains croisées traduisaient son désespoir'. Mais en qualifiant ces mains et en les anthropomorphisant, il gagne en densité et en efficacité émotionnelle. En quelques mots il cible en évitant de s'encombrer avec la description éventuelle de tous les gestes.

     

    La tristesse et le mal de vivre de Virginie sont eux aussi révélés, exprimés par son corps :

     

    « Virginie sentait son corps traversé de longs fleuves de haine et d'injustice qui la laissaient endolorie, exaspérée et brisée comme un chat tombé du quatrième étage. » [1]

    C'est la deuxième fois que Virginie Ramier est comparée à un chat. La première fois étant la première phrase de la nouvelle : « Virginie Ramier fit un bond de chat à qui l'on tranche les pattes. » [2] Le paradoxe d'une telle image a de quoi interloquer le lecteur qui découvre le récit. Comment un chat à qui l'on tranche les pattes peut-il faire un bond ? Non seulement l'auteur aime à comparer les êtres humains aux animaux (un moyen sans doute d'insister et de revendiquer le caractère animal de l'homme, c'est-à-dire son côté instinctif qui le pousse à survivre) mais il aime aussi interpeller son lecteur, utilisant paradoxes et décalages pour le pousser à réfléchir sur sa propre condition.

     

    Comme dans Repas de famille, la nouvelle La Jeune fille qui attendait [3], est elle aussi marquée par l'abondance des références au corps.

    « Il y avait d'abord Catherine qui, sous la lampe, était moyenâgeuse, avec de l'or sur son front étroit. [...] Il y avait aussi les mains de Catherine, des mains blondes appuyant leur paume tiède sur la douceur des tissus. » [4]

    « Deux petits coups, auxquels répondirent les battements du cœur de Catherine. Les jambes molles, elle appuya son corps à la porte, et de toute la force de ses bras tendus, elle l'attira vers elle... » [5]

    Si l'on regarde attentivement ce dernier passage, nous pouvons remarquer, encore une fois, l'attention toute particulière portée au corps et ses ‘applications' c'est-à-dire la manière dont le personnage utilise son corps. Dans la dernière citation ce sont les « battements du cœur » qui répondent ; l'image employée est révélatrice : le corps semble être autonome, détaché de la personne : ce n'est pas Catherine qui sursaute lorsque l'on frappe la porte, ce n'est pas elle qui a peur mais son cœur qui ‘répond', ses jambes qui sont molles, son corps qu'elle appuie à la porte. De même, lorsque l'on décrit un individu tirant violemment sur une porte, on emploie généralement l'expression ‘tirer de toute sa force', laissant entendre au lecteur qu'il s'agit de tirer sur une porte avec ses bras. Dominique Rolin précise qu'il s'agit de la force de « ses bras tendus » qui attire la porte et non de la simple force de Catherine. Quelques lignes plus loin le regard du narrateur se fixe, de manière presque obsessionnelle (comme s'il ne pouvait jamais s'empêcher de détailler sans cesse les corps, comme s'il était atteint de voyeurisme), sur l'aspect corporel des personnages :

     

    « Elle avait la taille ronde et la poitrine bombée sous la soie tendue du corsage, et ses bras tout nus, beaux comme de l'eau claire, se montraient dodus jusqu'à l'épaule.

    Elle pencha un peu la tête et Catherine vit son cou dont la ligne s'incurvait tendrement sous la plume blanche de son chapeau. Elle regardait Catherine avec le sourire retenu de ses fossettes. [...] Sa voix était un peu grasse comme toute la rondeur charmante de sa personne.

    ‑ Qui êtes vous, madame ? demanda Catherine, les mains étroitement crispées au bord de la table. » [6]

     

    On ressent une sorte de passion pour la plastique (dans le sens 'formes corporelles‘) : préoccupation constante. La description physique se fait toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs organes. Elle n'est jamais une ‘vue d'ensemble' d'un personnage, la silhouette ne suffit pas. La vision est toujours fragmentée. L'auteur s'attache à décrire un particularisme : les mains, le cou, les yeux, la bouche, la poitrine, etc. Les uns après les autres, les organes vont peu à peu s'imposer, s'organiser pour donner vie aux personnages. Bien souvent un seul organe permet à l'auteur de décrire un personnage. L'organe illustre alors non seulement le reste de son enveloppe charnelle mais aussi son état d'esprit.

     

    « ‑ Qu'importe, ma petite enfant ; je suis venue te chercher : ton corps est triste, et tes yeux sont beaucoup trop clairs. Ils ont la couleur de la vitre auprès de laquelle tu brodes la journée entière. Viens, Catherine. » [7]

     

    La partie contient le tout. On pourrait presque parler ici de vue ‘holographique'. En fait, Dominique Rolin donne au lecteur l'information nécessaire et suffisante là où il en est de sa lecture, mais ne lui fournit pas d'information superflue. Il en va pour les mains et les yeux de Catherine comme pour les lèvres foncées et la tête d'oiseau de la religieuse. [8]

     

    Le premier roman de Dominique Rolin dévoile déjà une sensibilité particulière du regard que nous retrouverons tout au long de l'œuvre, témoin cette description de la petite Barbe et celle de son père, M. Tord :

     

    « Elle avait cinq ans, mais elle était menue pour son âge et parfaite comme une poupée admirablement fignolée. Ses cheveux étaient serrés, lustrés comme le plumage d'un oiseau noir. [9] Son visage était une aurore perpétuelle. Mais ses yeux étaient si obscurément concentrés sur un rêve intérieur qu'ils faisaient peur, comme s'ils appartenaient à un monde ignoré. » [10]

     

    « M. Tord avait sur son visage, une expression pateline et ses lèvres épaisses se gonflaient comme pour sourire. » [11]

    Alban, le grand frère, dont le « front s'était ratatiné soudain et un pli bizarre tiraillait sa bouche » [12], le beau-frère, Bran, lui aussi dépeint par le narrateur :

     

    « ... son visage avait gardé une certaine mollesse de contours propre à l'enfance, mais la peau était fripée au front et aux yeux. » [13]

    Chaque personnage décrit dans Les Marais est soumis au moins une fois à l'œil perçant soit du narrateur soit du héros Alban. La fréquence des observations physiques y est la même que dans les nouvelles de jeunesse. Pourtant, ce premier roman marque une évolution en ce qui concerne la perception du corps humain par l'auteur. Il commence à ‘voir' et à décrire les corps essentiellement dans leur aspect mécanique. Jusqu'alors Dominique Rolin se contentait de donner des précisions physiques sur l'enveloppe corporelle, reflet de l'état d'esprit des êtres humains (comme nous l'avons vu dans les deux passages cités précédemment). Maintenant une sorte de ‘rapport à la chair' elle-même s'instaure.

     

    « Il avait posé sa main sur le corps des arbres et avait pensé : ‘ voici leur chair. Elle est dure, immobile, et pourtant son irrésistible montée est la marque d'une vraie chair vivante. La sève s'est mêlée à elle et lui confère la puissance du mouvement ascensionnel. D'un jet, le sang est monté jusqu'au sommet là où les branches fusent en tous sens et projettent leurs périssables merveilles. L'arbre est porteur du germe de la vie et de la fécondité.'

    Parmi les invités, Alban remarqua une jeune fille qui le regardait ardemment. N'était-ce pas plutôt la mort de cette jeune fille qui le regardait ? De toute l'assistance des jeunes, c'était la seule dont la mort fut apparente. On eût dit qu'elle cherchait déjà à se substituer au corps. » [14]

    Au-delà du rapport établi, entre la sève qui monte dans les arbres et la jeune fille qui le regarde « ardemment », nous pouvons noter ici deux points : d'une part c'est la première fois que l'auteur évoque le détachement du corps et de l'âme (cette préoccupation qui se dévoile ici, nous la retrouverons tout au long de l'œuvre jusqu'à son point culminant, quarante ans plus tard, avec La Voyageuse, ouvrage largement consacré aux relations de l'âme et du corps) ; d'autre part, (et c'est ce point qui retiendra plus particulièrement notre attention) ce passage est le premier véritablement révélateur de ce que nous appellerons l'écriture organique. Cet adjectif s'applique à : // ce qui est relatif aux organes du corps // ce qui provient des tissus vivants // se dit de ce qui concerne la constitution d'un être // se dit d'un ensemble qui fait un tout.

     

    « C'était une femme au visage pâle et bouffi. Elle se pencha sur le lit, prit les mains de l'enfant, encore tièdes, et les joignit sur la poitrine. Elle écarta les cheveux qui s'étaient collés sur le front et rabaissa les paupières. Elle versa de l'eau dans une cuvette, mouilla un linge et lava le visage ; puis, elle noua dans les cheveux un ruban de satin blanc. Elle allait et venait, rapide comme une chatte en quête de viande et dont l'odorat est particulièrement développé. » [15]

    L'auteur nous donne ici des informations propres aux organes eux-mêmes et non pas au corps en tant qu'ensemble. Il précise que les mains de Barbe sont « encore tièdes » et que ses cheveux sont « collés sur son front ». Nous bénéficions d'une observation aiguisée, scrupuleuse à noter les détails essentiels : le reste de chaleur corporelle de la petite Barbe, les cheveux collés au front et le rapport suggéré entre la nonne, « chatte en quête de viande » et Barbe, corps inanimé, objet de toute son activité.

     

    Dominique Rolin s'oriente vers une vision biologiste et objective du corps humain. À son sujet, elle évoque la « viande ». EIle l'envisage comme un ensemble de « tissus vivants ». Dominique Rolin, dont le dessin était le premier métier, avait elle-même illustré Les Marais (édition de luxe). Réalisés avec des mines de plomb très fines et très pointues (comme elle le dit elle-même « tendre pour la chaleur et les teintes, sèche pour le trait ») on note, en regardant ses dessins, le même désir de précision. La représentation des personnages, la nonne et la petite Barbe morte [16], est tout aussi précise que le texte. On y voit les cheveux de la petite collés sur son front (ils sont si finement représentés qu'on peut les compter). La compassion supposée de la nonne est aussi rendue par la finesse du trait et l'expression attristée du visage. Dans Les Marais les dessins de Dominique Rolin viennent souligner les descriptions textuelles. L'auteur n'utilise que des teintes très douces, presque effacées, afin de privilégier le trait et sa netteté, moyen de représentation identique à l'écriture. Quel que soit le médium utilisé, le regard de l'auteur est toujours le même. Il se fixe sur les détails les plus significatifs de l'aspect physique de ses personnages.

     

    « J'ouvre mon sac et j'en retire un miroir. Le blanc de mes yeux est strié de veinules rouges, ce qui me donne un air à la fois féroce et las. Ma lèvre supérieure est fendue et saigne » [17]

    La précision de la description du blanc des yeux d'Anne (Anne la bien-aimée) relève d'une observation presque clinique. Il n'est pas simplement dit que ses yeux sont rouges mais que le blanc de ses yeux est strié de veinules rouges, ce qui est rigoureusement exact comme chacun peut le constater soi-même devant un miroir lorsque ses yeux sont irrités.

     

    Dominique Rolin a choisi de ne pas s'encombrer de la vision conventionnelle du corps, imposée par la pudeur de la culture occidentale. Ainsi, dès ses premiers écrits, l'auteur affirme son indépendance vis a vis du ‘bon ton'. Les descriptions sont précises dans un souci d'efficacité, il n'y a pas de détours, le regard est froid et comparable à celui d'un chirurgien ou d'un mécanicien, dénué de tout sentiment.

     

    « ...son nez était retroussé et plat comme un groin, et chaque fois qu'il riait, il fermait ses yeux minuscules voilés de cils blancs. Sa ressemblance avec un porc me surprenait si fort... » [18]

     

    Le corps humain est souvent comparé à celui d'animaux comme le montre l'exemple précédent. Le chat est l'animal le plus souvent mis en rapport avec l'homme [19] mais il y a aussi l'oiseau, le porc... Par ces évocations, l'auteur fait ressortir un aspect physiologique particulier du corps humain qui semble s'imposer d'instinct. Nous retrouvons ces comparaisons tout au long de l'œuvre, comme par exemple dans le Souffle :

     

    « Elle était prête à les lui donner, ces choses, car elle était une belle femme-vache comme il n'en existe pas deux au monde. » [20]

    Non seulement le décalage provoqué par la comparaison entre la beauté féminine et une vache est surprenant, mais on est bien obligé d'apprécier la pertinence du choix de ce mot, « femme-vache » s'il s'agit de montrer au lecteur une femme épanouie, aux formes pleines et structurées, prête à offrir avec générosité ce que son corps produit de mieux et d'indispensable à la vie. C'est l'alma mater, c'est-à-dire la mère nourricière (c'est aussi ainsi que les poètes latins désignaient la patrie), revue et corrigée (avec sarcasme) par Dominique Rolin. La pudeur de bon aloi qui baigne généralement ce qui a trait à l'intimité corporelle semble ici s'évanouir. Que ce soit par la précision ‘chirurgicale' ou par la comparaison à des animaux, l'auteur écarte toute subjectivité conventionnelle liée à l'appréhension du corps. Par exemple, on s'accorde généralement à dire d'un nouveau-né qu'il est beau, mignon, on lui trouve des ressemblances avec tel ou tel parent. L'auteur, lui, rejette cette délicatesse. Ainsi, Anne, en voyant le bébé à peine né de son amie Agnès Loo le qualifie en disant :

     

    « ...affreux à voir, avec une tête énorme branlant sur de frêles épaules. » [21]

    Les personnages roliniens sont montrés dans leur physiologie. Les Deux sœurs [22] est lui aussi riche en exemples qui confirment l'attachement de l'auteur à la fragmentation détaillée du corps de ses personnages :

     

    « ... elle ne faisait pas songer à une enfant, mais à une créature engendrée par le feu. Sous les cheveux noirs, le front apparaissait, pâle et dur comme un os mis à nu, et les yeux obscurs abritaient une lueur incandescente. Seule la bouche révélait l'enfance. C'était une petite bouche, ronde, humide, mobile, toute gonflée de rire et de paroles. » [23]

    Le visage est montré par fragments, les cheveux, le front, les yeux, la bouche. Il n'y a pas de corrélation entre les différents organes, ils ne sont pas mis en rapport mais décrits individuellement. Chaque fragment est alors figé, comme s'il était saisi par un instantané photographique. C'est la juxtaposition de l'ensemble de ces éléments qui forme le visage. Il n'y a jamais de vision globale du corps mais des organes saisis par l'auteur, comme le front, le cou, les mains, qui vont être étudiés chacun en particulier et montrés successivement.

     

    Organique // se dit d'un ensemble qui est inhérent à la structure, à la constitution de quelque chose. // Dominique Rolin semble observer chaque élément de cet ensemble pour aborder et mieux comprendre sa constitution...

     

    « ... je crus le voir se dresser devant moi, avec sa silhouette à la fois robuste et gracile, avec ses mains rouges d'adolescent, et ses cheveux roux, touffus et bouclés [...] Son visage était merveilleusement beau, d'une pâleur mate, [...] Ses traits s'étaient formés durant les derniers mois, sa bouche était devenue têtue et sensuelle. Ses yeux, d'un azur violacé, meurtris de cernes bistres, étaient prolongés par de longs cils d'or qui donnaient à son regard une douceur d'ange [...] le bleu de ses prunelles se décomposait, et la pupille devenait cruelle. » [24]

     

    Ce passage illustre le sens que nous donnons au terme ‘organique'. « L'ensemble » est composé de la silhouette, des mains, des cheveux, du visage, des traits, de la bouche, des yeux, des cils, des prunelles et des pupilles. Le « tout » étant le corps de l'adolescent scrupuleusement observé. L'auteur donne du sens aux organes, ils sont doués d'émotion : une bouche est dite « têtue » et des pupilles « cruelles. »

     

    Parfois, « l'ensemble » n'est qu'un seul, voire deux, organes, juste un « tissu vivant » qui va constituer le « tout » car le regard porté sur le corps se fera sur une seule de ses parties. Mais elle sera déterminante et révélatrice de tout le reste.

     

    « Les doigts de Riquet en sortent, terriblement propres, ses ongles sont nacrés, finement, cruellement taillés. Les mains lavées saisissent une serviette pendue au mur et commencent à s'essuyer l'une l'autre. [...]. À cause de ses mains si propres, si roses, il paraît plus grand encore, et Yo s'aperçoit avec horreur qu'il n'y a plus la moindre barrière entre elle et lui. La boue, sur les mains de l'homme, c'était ça qui la protégeait, c'était ça qui le rendait bon, maintenant que me veut-il ? Pourquoi s'approche-t-il à mesure que je recule et qu'est-ce que ce sale sourire tordu vient faire sur ses lèvres ? [...] un côté de son visage pend un peu, tandis que l'autre remonte tout gai, sauf l'œil par exemple : l'œil est devenu vaste, d'une fixité vorace. Qu'est-ce qu'il veut bouffer, son œil ? » [25]

    Les mains de Riquet trahissent ses intentions. Lorsqu'elles sont boueuses, ce sont les mains d'un honnête travailleur dont l'activité ne concerne pas Yo. Lorsqu'il abandonne son travail, lave ses mains avant de s'avancer vers Yo, celle-ci devient très précisément concernée par les pensées de Riquet. Alors que le sens commun associe propreté et pureté, Dominique Rolin ici prend son lecteur à contre-pied, oserons-nous dire, en nous montrant l'imminente menace pour Yo que représentent les mains propres de Riquet. Contre-pieds, décalages, paradoxes, l'auteur semble toujours vouloir surprendre son lecteur.

     

    « Elle croise haut les jambes en faisant crisser la soie de ses bas, fume avec un grâce banale, parfaite, cessant ainsi d'être une femme pour devenir un symbole à belle poitrine, beau sexe caché, bouche, ventre, parfums, caresses... » [26]

    Ici, c'est l'individu qui semble disparaître au profit de ses organes. Ils prennent le dessus, ils absorbent l'ensemble de la personnalité. La femme n'est plus décrite que par sa décomposition en organes majeurs. C'est cette analyse qui la reconstitue.

     

    « ...il n'était plus qu'une bouche prenant mes forces et plongeant en moi les racines d'un désir... » [27]

     

    Les corps sont fragmentés, cela permet de mieux les montrer. L'auteur décrit les organes comme s'il les dessinait. Par ailleurs, il n'hésite pas à expliquer lui-même, comme nous allons le voir, les mécanismes de sa propre vision illustrés par ce passage :

     

    « Chacune aura désormais son espace où je m'acharne à représenter minutieusement l'imbrication des têtes. Je froisse les dessins ratés, recommence avec plus d'exigence comme si le fait d'agrandir un seul détail ouvrait le champ à des perspectives surprenantes, inévitables. Et maintenant (inversant les couples) j'ajuste à celle de Stéphanie la bouche d'Arthur. Ces bouches occupent toute la page. La lèvre supérieure de Stéphanie est soulevée en arc-de-cercle : les stries de la muqueuse, les ombres et les blancs faits pour suggérer le relief, l'humidité, tout y est. La lèvre inférieure, proéminente, est absorbée par celle du garçon. Je parviens même à indiquer, à force de patience, la face interne de cette lèvre où l'on devine la langue, la crête d'une dent. » [28]

     

    Il dévoile la caractéristique de son regard : « le fait d'agrandir un seul détail ouvrait le champ à des perspectives surprenantes ». Ainsi, l'organe, la bouche, le cou, ou les mains observés permettent de mieux appréhender, ou d'appréhender différemment un tout dans une perspective de pertinence avec l'action en cause.

     

    Dominique Rolin, tout en continuant à s'intéresser de très près au corps va aller encore plus loin dans sa volonté de décalage et de refus des conventions : refus, rappelons-le, exprimé par des descriptions corporelles complètement dépourvues de pudeur. Les images ou comparaisons animales laisseront alors la place à un langage plus cru, plus direct, à un vocabulaire plus radical. Au fil du temps les descriptions roliniennes se feront de plus en plus précises. À l'exemple de la citation ci-dessus où l'on voit le narrateur préciser la consistance des organes, leur relief, leurs ombres : « lèvre supérieure [...] soulevée en arc-de-cercle », « les stries de la muqueuse, les ombres et les blancs faits pour suggérer le relief »...

     

    « J'essayais alors de fixer du regard ses lèvres restées vivaces, roses, mais qui s'écartaient avec trop de lenteur sur les dents un peu jaunies, les gencives pâles. » [29]

    « ... elle entrouvre un peu les jambes aucune fente visible rien que la peau rose tendue légèrement duvetée. » [30]

    Le regard de l'auteur, très aiguisé, semble ne rater aucun détail physique dans l'observation de chaque individu ; elle se fait toujours de haut en bas, le visage étant la première étape. C'est ce regard qui permet au narrateur de La Maison la forêt de remarquer jusqu'à « la peau rose tendue légèrement duvetée ». C'est ce même regard qui s'applique à la description, ci-dessous, de l'enfant écrasé dans Le For intérieur.

    « Je vois le spectacle avant de le comprendre : un enfant vient d'être écrasé. Il est couché en chien de fusil comme s'il dormait ; ou comme si, dans un accès de mauvaise humeur et pour protester, il tournait le dos résolument au tumulte dont il est le prétexte. le sang sort par sa bouche, son nez, ses oreilles, et s'étale sous lui. Impossible de savoir si c'est une fille ou un garçon : les cheveux sont ras, mais la peau du cou est d'une délicatesse peu commune. Les doigts de la main droite repliés sont tachés d'encre. » [31]

    Le détail de cette description provoque presque un malaise, une gêne chez le lecteur [32]. Il peut alors avoir l'impression de devenir ‘voyeur' en continuant à lire ces précisions si scrupuleusement exposées. Parfois, la gêne ressentie se transforme en véritable sentiment d'horreur. Le lecteur peut alors avoir du mal à supporter certains passages choquants et ouvertement provocateurs.

     

    « La bouche de Mamine s'ouvre et se ferme sept fois, comme un vagin sanglant : elle a mis sept enfants au monde, sept noms fusent d'entre ses lèvres soudain laides à faire peur. Pas ça. Ma-maaan ! Sept rôtis crus, prêts à s'introduire dans le four de la vie, dans ce crématoire lent, fou, inépuisable, qui nous absorbe indistinctement. » [33]

     

    Il y a ici la vision organique du corps, envisagé dans son aspect le plus biologique (l'auteur ne décrit pas l'activité de ‘Mamine', énumérer les prénoms de ses enfants, mais l'activité de son corps, sa bouche qui s'ouvre et qui se ferme). Nous pouvons aussi noter ce ‘rapport à la chair' toujours présent, le corps est un morceau de viande. Les nouveau-nés ne sont ni plus ni moins que des ‘rôtis crus', de la viande prédestinée à la destruction dans les flammes. Le corps est désacralisé, il n'est qu'une machine, considéré au même titre qu'un moteur de voiture, fait pour fonctionner et s'user lentement jusqu'à sa rupture.

     

    « Ils accouchent d'eux-mêmes sans pour autant couper le cordon ombilical. Ils remuent hors du vagin double qui spasmodiquement essaie de les ravaler. » [34]

     

    Le corps est décrit, détaillé, observé : il est le moyen utilisé par l'auteur pour étayer sa réflexion. Lorsqu'il s'agit de montrer au lecteur qu'un personnage est en train de se découvrir lui-même, Dominique Rolin utilisera une image, et cette image sera presque toujours celle de l'accouchement.

     

    « Tous attendaient avec fébrilité qu'Auguste Yquelon accouchât de la jeune mort, blottie en lui. » [35]

     

    « La mort est une femme enceinte au neuvième mois. » [36]

     

    Non pas l'image poétique d'un accouchement comme l'on fait accoucher les esprits, mais l'image ‘photographique' d'un réel accouchement, à l'image du « cordon ombilical » et des spasmes vaginaux. Nous pouvons penser que si l'auteur s'attache tant aux descriptions des organes et à l'activité physiologique du corps, s'il se sert tant du corps pour imager ses réflexions, c'est que ce corps semble être le moyen pour lui d'atteindre l'esprit. Un peu comme si le corps lui était la clef nécessaire pour entrer dans l'âme de chacun. Ainsi, l'étude du corps et l'écriture organique apparaissent comme de véritables outils conçus et affûtés par l'auteur pour mieux accéder à l'esprit et peut-être, tenter d'y trouver une vérité. Sa démarche est cependant différente de celle d'un naturaliste qui décrirait les organes qu'il dissèque dans une stricte rigueur d'observation. Dominique Rolin conduit sa dissection en toute subjectivité pour chercher, imaginer et tenter de trouver la vérité qui s'exprime à travers les organes.

     

     

    II. 2. 2. L'écriture organique : médium d'une quête.

     

     

    Considérant l'écriture organique, nous avons constaté qu'il y avait chez l'auteur une volonté constante de ‘rendre compte' de la manière la plus précise, même lorsque son regard croise des choses qui sont, ou qui lui semblent, insoutenables (l'accouchement par exemple est toujours décrit par l'auteur comme une atrocité). Les descriptions crues, réalistes et souvent choquantes ne seraient-elles destinées qu'à heurter le lecteur ? Ces offenses aux bonnes manières seraient-elles juste le moyen de retenir l'attention de son lecteur, seraient-elles un simple artifice propre à échafauder un style original ? Il n'y a pas de doute possible quant à la question posée : oui, ce vocabulaire et ces descriptions choquantes sont un effet de style, oui cela sert à retenir l'attention du lecteur. Pourtant, ces écorchures qui lui sont faites nous semblent avoir une dimension supplémentaire, et pour tout dire, décisive.

     

    Si l'on admet que la matière (au sens // substance qui constitue les corps //) est objective, celle-ci est alors à portée de compréhension. La pensée, elle, a tendance à ajouter beaucoup de subjectivité à tout ce qu'elle engrange ou produit. Elle risque donc de générer complexité, complications et incompréhension. L'authenticité de Dominique Rolin ne pouvait se satisfaire d'un tel constat d'impuissance à comprendre le fond. Faisant corps avec son texte, elle construit pour son lecteur le cheminement de sa pensée. Ce chemin doit donc être bien balisé, clair et dégagé de tout faux-semblant. L'auteur nous livre alors sa réflexion, ses sensations en s'appuyant sur la matière sans sensiblerie, à l'état brut, sans fard, de la manière la plus objective qui soit

     

    «Sa bouche, ah ! Sa bouche risque de révéler ce que cache le front, les joues plates : lèvres incarnates, bombées sur les dents. » [37]

    « Une femme qui l'électrise et qu'il électrise. La mouillure de rigueur a lieu, vite-vite, dans la clandestinité rationnelle d'un lit. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le produit de la mouillure est là. » [38]

     

    Il ne distrait pas l'attention du lecteur, il ne perd pas de temps en descriptions longues et imagées. Il donne les faits ‘comme il les voit' et lorsqu'il désire employer une image, celle-ci est toujours celle d'un organe détaillé dans tout son réalisme : « lèvres incarnates, bombées sur les dents ». Dans La Rénovation, l'auteur donne même corps à ses mots, ce sont eux qui constituent le corps :

     

    Arrière choses encombrantes ! place aux mots. Ceux-ci doivent être traités avec amour et respect car ils sont le sel et le sang de nos corps. Sois excessive, ma chère (me dis-je aussi), à leur égard, ne crains pas de les cracher par les yeux de ton manuscrit... » [39]

     

    Dominique Rolin dira, lors d'une interview donnée le 21 octobre 1995 sur Radio France Culture, que l'un de ses buts est de « mettre les mots au service de ses découvertes » (sic). De ces mots, elle précisera qu'il y a « des moments où ça coule, ça vient, ça sort par les oreilles, le nez, la bouche, par le bout des doigts. » (sic) Les mots sont donc dans le corps, ils en font partie. Tout y est ramené ainsi qu'à l'organe. L'humanité elle-même n'échappe pas à ce souci de condensation lorsque l'auteur va même jusqu'à oser résumer l'homme en un nombril !

     

    « Qu'est-ce que nous sommes, dis-je, sinon des nombrils ? Sans nombril, pas d'espèce. La création, dans la totalité de l'espace et du temps, tourne autour d'un unique Grand Cordon, souverain, vindicatif et religieusement censuré. Nombril : la faute est devenue chair... » [40]

     

    Et si tout est corps pour Dominique Rolin c'est que « les corps ne peuvent pas mentir » (sic). En donnant une consistance corporelle aux mots, en les observant comme de la matière solide à part entière, elle choisit ceux qui lui semblent les plus justes, les plus adéquats afin de rendre son écriture la plus objective, la plus fidèle qui soit à ses sensations, à ses sentiments :

     

    « La haine est un outil perçant dont je me sers pour vous donner du relief, couleur et musique. Au fil du rasoir, j'ai le don d'éliminer ceux d'entre vous qui sonnent faux. Je n'ai aucun scrupule à les saigner à blanc. » [41]

     

    Les mots apparaissent vraiment, dans le passage ci-dessus, comme le marbre qui va servir au sculpteur : c'est avec ce matériau que l'auteur « donne du relief », il doit choisir le bon bloc, celui dont la structure même permettra l'élaboration de la forme idéale.

     

    Nous avons précédemment vu que l'auteur décrit la matérialité de la constitution des corps avec minutie. Il présente ses personnages dans la réalité crue de leur chair et de leur sang (même les mots sont ‘saignés à blanc'), avec des détails soigneusement choisis, sans détours et sans fausse pudeur. Il ne décrira pas le cœur humain comme l'organe qui permet la vie, comme l'endroit où se nichent les sentiments, mais plutôt comme une machine, un moteur.

     

    « Pourtant dès lors que je m'ouvre la poitrine s'amenuisent les possibilités de savoir puisque je meurs. Ouvre alors la poitrine d'Emma, ou de Vé, ou de Piti : tu y trouveras, dans un magma gluant et chaud, un organe détachable qui se gonfle et se vide, se gonfle et se vide. » [42]

    Le cœur n'est donc rien d'autre qu'une pompe : il n'est envisagé que dans sa matérialité crue. Ce passage, qui confirme encore une fois la préoccupation physiologique de l'auteur, nous délivre un indice d'importance : « Dès lors que je m'ouvre la poitrine s'amenuisent les possibilités de savoir ». Ainsi, pour ‘savoir', la narratrice du For intérieur se rend compte qu'elle doit examiner le cœur, pratiquer une autopsie. L'opération clinique devient alors un passage obligé de la connaissance, même si la conséquence en est mortelle.

     

    « Ma tête est vue par moi comme si j'avais le pouvoir de la déposer sur la table. Je la dépouille des peaux et des chairs qui la couvrent jusqu'à la forme d'os. Je la fends au niveau de l'arcade sourcilière. Je sépare. D'un côté j'obtiens une tasse pleine de gelée rosâtre qu'il est convenu de nommer cerveau : (à l'instant où j'écris ces phrases naît quelque part du côté de la nuque, un mouvement qui prouve justement que la pensée n'existe pas autrement qu'à l'état de masse animée de cellules cherchant la fraîcheur) je choisis des instruments affilés pour procéder à la dissection. La masse molle qui ne dépasse pas le volume d'un poing fermé rappelle la forme d'une noix. Jamais je n'ai mangé ce fruit sans supposer qu'il s'agissait d'une cervelle humaine réduite. Je dispose les instruments en croix. J'enfonce. Je décolle les portions jusqu'ici protégées par leur membrane arrosée de sang : méandres et plis, nœuds joignant ici mémoire et futur, liens ténus reliant un quart à l'autre quart ; souterrain macabre d'une ville à quadruple signification ; silences, rats ; maladies qui ne devaient jamais voir le jour. Je commets un crime salutaire : je rends à la vérité ce qui lui appartient. » [43]

    La clef du savoir, pour Dominique Rolin, passe avant tout par la connaissance de l'esprit, de son esprit. Et pour découvrir cet esprit, dans tous ses recoins, l'observation chirurgicale est nécessaire. Ci-dessus, dans ce passage des Éclairs, elle nous détaille sa façon de procéder. Tel un chirurgien, Dominique Rolin décrit chacun de ses gestes pour approfondir son analyse. Elle « dépouille », elle « fend », « sépare », « enfonce », « décolle ». Autant de gestes mécaniques faisant travailler ses organes, autant d'images d'ordre chirurgical pour décrire son introspection. Cette dernière, qui se réalise au travers de l'écriture, influe directement sur l'organisme de l'auteur. L'acte d'écriture fait naître chez lui, « quelque part du côté de la nuque, un mouvement qui prouve justement que la pensée n'existe pas autrement qu'à l'état de masse animée de cellules cherchant la fraîcheur. » L'expression de la pensée n'est alors qu'une réaction chimique dont le processus aboutit à un ensemble de cellules qui cherchent à sortir du cerveau (elles cherchent la fraîcheur, donc l'extérieur). Ces cellules peuvent sortir par la bouche mais surtout par la main annotatrice de l'auteur. L'écriture rolinienne est ainsi le résultat de l'expression de ses propres cellules qui cherchent le « dehors ». On comprend mieux alors chez Dominique Rolin la dualité ‘dehors / dedans'. Celle-ci s'était vu consacrer un ouvrage, Le Corps, tout entier dédié à l'espace corporel [44]. Cela permet aussi de réaliser à quel point, ce que nous avons appelé ‘l'assimilation du narrateur' est une nécessité pour Dominique Rolin, puisque ce narrateur est à la fois, rappelons-le, ‘dehors l'auteur' et ‘dedans l'auteur'.

     

    Chez Dominique Rolin [45], l'écriture organique est non seulement une écriture vouée à la description et à l'expression des corps, mais elle est aussi l'écriture des organes eux-mêmes. Ce sont ses organes qui poussent l'auteur à l'acte romancier.

     

    Il met fin à la dissection de son cerveau en écrivant : « je commets un crime salutaire : je rends à la vérité ce qui lui appartient ». Ainsi, cette opération clinique s'apparenterait à une sorte de recherche désespérée pour trouver la vérité : les descriptions organiques, le langage cru, utilisés par l'auteur ne seraient rien d'autre qu'un moyen d'approfondir la pensée pour atteindre une sorte de réalité objective. Lorsqu'elle écrit « Je rends à la vérité ce qui lui appartient », Dominique Rolin nous laisse supposer que la pensée en tant que telle n'est pas la vérité. Cette vérité ultime, profonde et fondatrice ne saurait donc être ailleurs que dans les cellules qui composent le cerveau.

     

    Quand elle affirme que « les corps ne peuvent pas mentir » elle donne la clef nécessaire pour comprendre sa recherche. Si l'auteur apparaît aussi motivé par l'utilisation intensive de tout ce qui a trait au corps, c'est qu'il ne veut pas être dupe de sa pensée. En se laissant séduire par la surface et l'apparence des choses, il prend le risque de se fourvoyer et d'entraîner son lecteur dans son égarement. Il veut lui livrer la vérité, sa vérité, toute crue. Et pour atteindre cette vérité Dominique Rolin est obligée de chasser les mots et de les manger :

     

    « Prouvons la finesse de nos intuitions en préservant d'humbles bonheurs d'œil, d'oreille, de bouche et de nez [...] Car j'ai toujours faim et prends avec appétit ce qui se présente. » [46]

     

    C'est encore un désir exprimé de manière organique : Dominique Rolin n'utilise pas les mots ni les événements, elle les ‘mange'. Le désir de connaissance, d'apprentissage est obligatoirement ‘physique' : il fait appel aux sens, il y en a ici quatre concernés sur les cinq que possède l'homme. L'acquisition du savoir est vue comme un acte nourricier, au sens littéral du terme ! Il est étonnant de constater l'incroyable présence, tout au long de l'œuvre, des métaphores tournant autour du champ lexical de la nourriture. Un peu comme si elle mangeait les événements et les régurgitait dans ses romans : Dominique Rolin digère sa vie.

     

    Il n'y a pourtant pas que son corps qui pousse Dominique Rolin à écrire. Elle semble, par l'intermédiaire de ses romans, poursuivre un but. Au cours de notre étude nous avons tenté de montrer que l'auteur et sa création sont toujours en mouvement. Ils vivent une sorte de quête. Nous pourrions dire qu'au vu des sujets abordés, il s'agit d'une recherche sur les rapports familiaux et sur l'amour, une recherche sur les rapports du ‘moi' avec le reste du monde. Et pourtant il nous semble que cette quête va au-delà, Dominique Rolin ne se contente pas de dépeindre et d'étudier la psychologie humaine, il semble qu'elle poursuive, voire, qu'elle chasse autre chose : comme si elle ne voulait pas se contenter de comprendre ou de savoir, comme s'il lui fallait encore plus.

     

    « Tout m'est profit. J'ignore le scrupule. » [47]

     

    Ce que nous appelons ‘écriture organique' serait donc le médium utilisé par l'auteur afin d'avoir le regard le plus juste sur les relations familiales, l'amour, le monde qui l'entoure et surtout sur lui-même. D'aucuns peuvent penser que ce regard est gratuitement cruel et il est vrai, à la lecture des quelques passages que nous avons cités, qu'il y a peut-être même une réelle méchanceté chez Dominique Rolin. Car l'écriture organique produit cette sensation de dureté, de voyeurisme outrancier à vouloir absolument montrer ce qui est tabou, à vouloir employer un langage rude et parfois ordurier. Mais cette cruauté de l'expression n'est pas gratuite, l'écriture organique n'est pas juste un effet de style. Ce que nous avons appelé ‘l'écriture organique' a été parfaitement décrit par Jean-Jacques Brochier lors d'une interview sur France Culture :

     

    « La fonction du roman, chez Dominique Rolin, est vraiment quelque chose de chirurgical, on a l'impression qu'elle écrit avec un scalpel, c'est une fonction chirurgicale. Elle n'a pas du tout l'impression d'être quelqu'un de méchant et cruel, elle a juste l'impression de faire son métier et son métier est de découper les gens en tranches et de se découper aussi parce ce qu'elle a ce souci tout à fait honnête. Elle est aussi bien l'objet de sa propre cruauté que sont les personnages de ses romans, tout cela passe avec un couteau extrêmement pointu et on découpe tous les muscles, tous les nerfs, tous les os. Et il ne reste plus à la fin, comme lorsque l'on a mangé un perdreau ou un poulet, s'il était bon, que l'essentiel, non pas la peau et les os, mais juste les os. » [48]



    [1] ibid., p. 485

     

    [2] ibid., p. 475

     

    [3] op. cit.

     

    [4] « La Jeune fille qui attendait », dans Les Géraniums.‑ Paris : La Différence, 1993.‑ p. 375.

     

    [5] ibid., p. 377

     

    [6] ibid., p. 378

     

    [7] ibid.

     

    [8] V. plus haut

     

    [9] À noter que l'auteur évoque souvent les oiseaux pour peindre les têtes ou les visages.

     

    [10] V. Les Marais, p. 10

     

    [11] ibid., p. 16

     

    [12] ibid., p. 27

     

    [13] ibid., p. 40

     

    [14] V. Les Marais, p. 41

     

    [15] ibid., p. 105

     

    [16] V. annexe p. 320

     

    [17] V. Anne la bien-aimée, p. 12

     

    [18] ibid.

     

    [19] V. déjà avec Virginie Ramier dans la première nouvelle de l'auteur.

     

    [20] V. le Souffle, p. 43

     

    [21] ibid., p. 74

     

    [22] Les Deux sœurs.‑ Éditions du Seuil : Paris, 1946.‑ 322 p.

     

    [23] V. Les Deux sœurs, p. 13

     

    [24] V. Moi qui ne suis qu'amour, p. 12

     

    [25] V. Les Quatre coins, p. 185

     

    [26] V. Le Lit, p. 140

     

    [27] ibid., p. 109

     

    [28] V. Le For intérieur, p. 88-89

     

    [29] V. Le Lit., p. 70

     

    [30] V. La Maison la forêt, p. 131

     

    [31] V. Le For intérieur, p. 64

     

    [32] Nous pensons plus particulièrement au cheminement du sang qui s'échappe du mort.

     

    [33] V. L'Infini chez soi, p. 125

     

    [34] ibid., p. 7

     

    [35] V. Le Souffle, p. 56

     

    [36] V. Lettre au vieil homme, p. 48

     

    [37] Le Lit, p. 69

     

    [38] La Voyageuse, p. 121

     

    [39] p. 75

     

    [40] V. La Voyageuse, p. 91

     

    [41] V. La Rénovation, p. 60

     

    [42] V. Le For Intérieur, p. 24

     

    [43] V. Les Éclairs, p. 174

     

    [44] V. plus haut, p. 79

     

    [45] ibid.

     

    [46] op. cit.

     

    [47] V. La Rénovation, p. 77

     

    [48] Émission, « Le bon plaisir de Dominique Rolin », rencontre avec Jean-Jacques Brochier sur radio France Culture du 21/10/1995

     



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